Quoiqu’elle porte le même nom de famille que moi, j’ignorais tout d’Olympe Audouard jusqu’à ces derniers mois. Il a fallu qu’un des ouvrages de cette auteure du xixe jaillisse de l’étagère où il était caché depuis quelques décennies pour qu’elle se pointe dans ma vie.
Là-dessus, un pote biographant le grand Totor (Victor Hugo) m’apprend qu’elle a été sa maîtresse, après avoir été celle d’Alexandre Dumas. Olympe n’aurait-elle de place dans notre histoire littéraire que comme « star fuckeuse » spécialisée dans le vieillard érotomane ?
Mon vieux Larousse du xxe siècle en six volumes (1928) contient bien une notice pour Audouard, mais c’est Mathieu François Maxence (1776-1856), médecin chef des armées de l’Empire ayant fait preuve d’un « admirable dévouement » lors de diverses épidémies. À Olympe, juste après Olybrius (empereur romain) et Olyka (ville d’Ukraine), je trouve les monts grecs, une sainte — mais mon Olympe à moi, Audouard, point. La seule citée, page 833 du tome III, est la révolutionnaire Olympe de Gouges : c’est déjà ça de pris pour le féminisme mais toujours rien sur le féminisme audouardien, je ne dirais pas le seul qui m’intéresse, mais celui qui me touche de la façon la plus intime. Je ne lâche pas l’affaire.
Mon ami Wiki, lui, n’est pas un gros macho, il connaît Olympe Audouard : il m’apprend qu’elle a voyagé de par le monde, écrit des livres à succès, fondé quatre journaux et combattu pour la cause féministe, n’hésitant pas à provoquer en duel quelques mâles méprisants, dont un procureur, le directeur du Figaro et l’écrivain Jules Barbey d’Aurevilly.
Wiki point ne me suffit, s’il m’indique une bibliographie où je choisis un Livre des courtisanes. Bonne pioche ! L’ouvrage me révèle les fiches de police dont Olympe avait fait l’objet. Un flicaillon de 1871, visiblement émoustillé, décrit ses « charmes opulents » et ses « idées républicaines très avancées ». L’officier de renseignements s’emmêle entre ses « amis », tous des hommes, précise-t-il, et ses amants.
Là-dessus, ma libraire favorite, la toujours remarquable Corinne Lucas de chez Litote[1], m’apprend qu’une biographie d’Olympe va sortir. Je précommande.
Je viens d’achever la lecture des 550 pages que madame Liesel Schiffer consacre à celle qui techniquement n’est pas mon aïeule — et je l’adopte, en même temps que je déclare ma flamme (littéraire) à madame Schiffer, qui a su mettre plusieurs années de recherches sous une forme élégante, dressant le portrait d’une époque autant que celui, captivant, d’une femme remarquable.
Olympe est doublement Audouard : sa maman est une demoiselle Audouard décédée alors que sa deuxième fille était encore petite — et son père l’a sortie à dix-huit ans du couvent où elle était heureuse pour lui faire épouser un autre Audouard, un cousin éloigné nommé Henri Alexis, notaire à Marseille. Non content de la tromper allègrement après lui avoir fait deux garçons, cette saleté d’Audouard a bouffé l’argent de son étude et la dot d’Olympe pour ses maîtresses ; lorsqu’elle a émis une protestation, il s’est mis à la dérouiller. Ayant obtenu la séparation de corps et de biens, Olympe s’est carapatée loin du saligaud avec ses deux garçons sous le bras. Auteure professionnelle, elle a publié une trentaine d’ouvrages en vingt ans, de Comment aiment les hommes à Voyage à travers mes souvenirs en passant par Guerre aux hommes, À travers l’Amérique et Les Nuits russes — merde, j’allais oublier Le Monde des esprits et Les Secrets de la belle-mère.Pu-tain[2] ! en voilà une qui se foutait de « fidéliser » son lectorat !
Madame Schiffer raconte de façon très vivanteson parcours d’auteure, de voyageuse, de conférencière à succès (qui peut se vanter d’avoir fait salle comble à Salt Lake City ?) — mais aussi d’amoureuse, car on peut être une féministe de choc qui envoie du lourd contre la société des mâles dominants et laisser libre cours à son tempérament amoureux. À son humour aussi, comme en témoigne cette saillie qui n’eût pas déplu à mon Yvan Audouard de père, pourtant peu réputé pour son féminisme : « Quand j’entends les hommes gourmander les femmes, il me semble voir des corbeaux reprocher leur noirceur aux colombes. »
Tout en menant son long combat pour la liberté (la sienne et celle de ce que Simone de Beauvoir appellerait le « deuxième sexe »), Olympe n’a jamais cessé d’être un papillon provençal. Les papillons ne vivent pas vieux : c’est à moins de soixante ans, accablée d’ennuis financiers et atteinte d’une mauvaise congestion pulmonaire, qu’Olympe est morte à Nice. Louange à toi, Liesel, d’avoir su lui redonner vie avec tellement d’allant !
Et puissent certaines féministes grincheuses de ces temps tristes s’inspirer de la fantaisie et de l’esprit de liberté de celle qui disait avoir à sa naissance (en mars 1832) pris « un rayon de soleil dans le cœur » et « un coup de mistral dans la tête ».
Références :
Olympe, de Liesel Schiffer (éditions Vendémiaire, 550 pages, 26 euros). Un seul reproche : il y a bien un cahier photo, mais pas d’index.
Le Livre des courtisanes. Archives secrètes de la police des mœurs, 1861-1876, de Gabrielle Houbre (Tallandier, 2006, 643 pages, 32 euros). Je n’ai lu que les passages consacrés à mon Olympe, mais le reste m’a l’air épatant.
Anton Tchekhov, une vie, de Donald Rayfield, traduit de l’anglais par Agathe Peltereau-Villeneuve et du russe par Nadine Dubourvieux (Louison éditions, 2019, 552 pages, 30 euros). Rien à voir avec Olympe mais j’avais lu dans l’anglais original cette biographie remarquable de mon héros : l’édition française à laquelle a collaboré l’excellentissime Nadioucha est une merveille — et en plus il y a un index.
PS. Dans l’obsession heureuse de ma découverte de ma vraie-fausse aïeule, je ne m’étends pas assez sur les mérites de sa biographe. C’est pas rien, comme dirait Bizot, de rendre légère la lecture de près de 600 pages quand on a passé plus de cinq ans avec son sujet, tout lu d’elle et sur elle. Il faut avoir une sensibilité d’artiste (l’artiste selon Tchekhov) pour voir, trier dans la masse d’informations, choisir ce qui compte et le mettre en valeur avec style sans encombrer son lecteur/trice de la masse effarante de ce que l’on sait et que lui/elle ignore.
[1] Promotion gratuite : Librairie Litote, 48 rue Alexandre Parodi, 75010 Paris. Pas mal de nouveautés, des poches, un rayon jeunesse petit mais bien organisé, et on peut compter sur les conseils éclairés de Corinne, Julien et Lucile, avec un « l », comme la sœur adorée mais folle de Chateaubriand, pas deux comme la guitare de B.B. King.
[2] Rappelons que cette exclamation, typiquement bizotesque, est à prononcer en accentuant la syllabe finale !