Il y a quelques mois, suivant les recommandations de Doctor B. (elle affirme son autorité de façon si ferme et charmante que je pourrais répondre « vos désirs sont des ordres » à chacune de ses suggestions), j’avais pris rendez-vous pour un bilan sanguin. Rendez-vous à 7 h 40 (7 h 30 était déjà pris). Au terme d’un effort colossal pour surmonter ma PPR (Peur Pathologique du Retard, vous connaissez, braves et bravettes ?), je me retrouve devant la porte fermée du labo, à temps pour assister à l’arrivée de deux jeunes femmes qui déverrouillent l’entrée. Les trois personnes qui patientaient déjà entrent. « Attendez ici, Monsieur, on viendra vous chercher. »
À 7 h 45, personne n’est ressorti pour venir me chercher, il y a la queue, mais j’ai reçu pour instruction de patienter sur le banc devant le labo, alors je patiente sur le banc devant la porte. Bol, il ne pleut pas.
C’est le bordel, de nouvelles personnes arrivent, passent devant tout le monde et entrent. Une dame plus âgée que moi vient s’asseoir sur le banc : « Pfff ! — Bonjour madame, vous avez rendez-vous quelle heure ? — 7 h 50. » Les minutes passent, il est bientôt 8 heures, 8 h 15 et toujours rien. À côté de moi, la vieille enchaîne les pfff , c’est le seul son qui semble pouvoir franchir ses lèvres pincées. « Tu sais quoi, chérie », ai-je envie de commenter, moi non plus j’ai pas de rendez-vous pour un boulot à 9h pile, mais moi aussi j’en ai marre, alors si par chance tu pouvais me dispenser de ton pfff, ça serait pas plus mal. » Je suis entré avec quarante-cinq minutes de retard et j’ai réussi à retenir mon pfff à moi alors que je recevais comme explication : « On a eu un problème. — Un seul ? »
Je pense à ma compagne de banc à chaque fois qu’une personne de plus commente le confinement, le couvre-feu, le reconfinement d’un « y en a marre » exaspéré. Moi, les gars, les filles, savez quoi ? ça fait un an et j’en ai pas marre du tout, j’adore !
Pas de bistrots, pas de bisous, pas de théâtre, pas de ciné, musées fermés, c’est la vraie vie, isn’t it ?
L’autre option, au prochain « y en a marre » que j’entends, c’est pfff et ça, non, laisse tomber, le monde d’après, moi, j’adore.
Et pour tous ceux qui en ont marre, marre – marre du virus, marre de la tronche de cake d’Olivier Véran, marre de Castex, de Macron, marre de tout, j’ai qu’un truc à leur dire : Pfff !
PS. Cette petite déclaration d’amour à mon époque et à mes concitoyens, surtout franciliens, a été rédigée avant les annonces de reconfinement de M. Castex, I’m not making this up[1], I guarantee it[2]. J’ai A-DO-RÉ. Tout me plaît chez cet homme, d’ailleurs, à commencer par son look Gargamel quand il annonce des mauvaises nouvelles. Et pour ceux qui ne sont pas d’accord, you know what ? Pfff.
Promotion gratuite:
Pour me remettre de mes émotions analytiques, je me suis offert une petite brioche consolatrice à ma boulangerie favorite, Les Gamins du Faubourg, 210 rue du Faubourg-Saint-Martin. Tél. : 01 40 35 59 40. Tout y est bon et je n’ai jamais entendu Nourdine, Karima, Souhela, Sofia ou Amanda, qui a remplacé Habiba, servir une baguette en faisant Pfff et quand il y a la queue le samedi matin, les clients habituels sont tellement aimables que je n’ai presque jamais à prononcer le mot « invalide » sur un ton suppliant pour qu’on me laisse passer devant.