« Parfois, lorsque je commençais une nouvelle histoire et n’arrivais pas à la faire décoller, je me levais et je regardais les toits de Paris en pensant: « Ne te fais pas de souci. Tu écris depuis toujours, tu écriras aujourd’hui. Tu dois seulement écrire une phrase vraie. Ecris la phrase la plus vraie que tu connaisses. » Et finalement j’écrivais une phrase vraie, et je continuais à partir de là. C’était facile, dans ce temps-là, car je connaissais toujours une phrase vraie, ou bien j’avais entendu quelqu’un en prononcer une. Si je commençais à écrire d’une façon élaborée, ou bien si j’essayais d’introduire ou de présenter quelque chose, je me rendais compte que je pouvais aussitôt couper cette volute, cet ornement, les jeter, et démarrer avec la première vraie phrase déclarative que j’avais écrite. »
Cette phrase est citée ad nauseam dans les cours de « creative writing » aux Etats-Unis. Elle a inspiré et elle inspire encore de nombreux écrivains et journalistes, et son appel à l’efficacité est utile, dans bien des cas.
Et puis elle ne peut souffrir que d’une interprétation trop littérale : Hemingway ne nous indique pas en effet (fort heureusement) la nature de cette « vérité » qu’il nous faut, dès la première ligne, établir. Que dire de « Mrs Dalloway dit qu’elle couperait les fleurs elle-même » ? Ou de « Longtemps je me suis couché de bonne heure » ? La vérité recherchée par Virginia Woolf ou par Proust n’est pas plus celle d’Hemingway que la mienne ou la vôtre. Mais aller la chercher là où elle se trouve et la reconnaître pour ce qu’elle est – c’est peut-être bien, en effet, le début de l’histoire.
Référence : Ernest Hemingway, Paris est une fête (Folio/Gallimard)