UNE MANIERE D’ETRE LA

20 mai 2009

« Un vrai reporter, écrit Kapuscinski, n’habite pas au Hilton, mais dort là où dorment les héros de ses récits ; il mange et boit la même chose qu’eux. Un texte honnête ne peut naître que de cette manière. »

Chez Kapuscinski, l’humilité est une forme d’exigence supérieure, pas éloignée de l’ascèse, voire du martyre. L’homme était peut-être plus fier de toutes les maladies qu’il avait attrapées que des quelque quarante coups d’état auxquels il avait assisté.

Il en rend un témoignage plein d’humour et de force dans un des textes d’Ebène. « L’appartement que je loue à Lagos », écrit-il pour commencer Ma ruelle, 1967, « est régulièrement cambriolé. » Ce qui suit, on s’en doute, n’est pas une jérémiade – mais le récit d’une appropriation prudente. Dans la ruelle de Kapuscinski, « considérer un vol comme une humiliation et une tromperie est un luxe de l’esprit ». Une femme à qui l’on dérobe sa marmite, son unique bien, c’est « un vol revenant à un meurtre, à un assassinat ». Mais pour le jeune homme qui n’a pu résister à voler quelques bananes, le voici aussitôt attrapé, matraqué, au bord du lynchage…

Quant à M. K lui-même, il en vient à considérer ses cambriolages comme une sorte de rite d’initiation personnelle. « Par ce biais », lui explique un visiteur bien disposé, « [les voisins] me font savoir que je leur suis utile et qu’ils m’acceptent. (…) Est-ce qu’il m’est déjà arrivé de me sentir en danger ici ? J’ai avoué que non. »

Son nouvel ami lui fait acheter « un bouquet de plumes de coq blanches » et les attache à sa porte. « A partir de ce jour-là », conclut Kapuscinski, peut-être avec nostalgie, « je n’ai plus jamais été cambriolé ».

Références : Ryszard Kapuscinski, Ebène (Pocket) ; Autobiographie d’un reporter (Plon)