UNE JUSTE ERREUR

18 octobre 2010

David Grossman n’aime pas être appelé « conscience morale d’Israël » mais il est difficile d’y échapper quand, devant le cercueil de son propre fils, tué dans son tank par un missile du Hezbollah, on est capable de continuer à dire qu’il faut « connaître son ennemi de l’intérieur de soi-même »… Inlassablement, et avec une dimension tragique nouvelle depuis ce décès, Grossman lutte à sa façon contre la fossilisation de deux peuples dont la guerre a envahi l’espace intérieur, l’intimité même, après avoir pris possession de leur paysage. Ajoutons qu’un homme qui lisait la Promesse de l’aube pendant son propre service militaire au sud Liban pour préserver son identité « d’avant la guerre » ne saurait nous être tout à fait étranger.
Grossman cite la scène du fiacre dans Madame Bovary : l’écrivain, nous dit-il, nous fait partager jusque dans le détail la force des sentiments de Léon et d’Emma ; le journaliste, comme les gens de la ville, regardent le fiacre passer et commentent. Les Flaubertistes se récrieront : rien de tel dans la célèbre page, où il n’est aucunement question des émotions et des tourments de nos héros, dont nous devinons les mouvements par les protestations du cocher, les cahots du fiacre sur le pavé, la voix impatiente de Léon, une main blanche, la litanie des quartiers de Rouen traversés, et enfin les petits morceaux de la lettre qui s’éparpille. Grossman, donc, se trompe – mais c’est pour une noble cause. De ce fiacre nous sommes les passagers : qui a souci de nous fermera les yeux à notre passage et ne se moquera point, tentant de trouver en lui-même non de quoi nous juger mais de quoi nous comprendre dans notre folie, notre misère, et de savoir silencieusement en quoi elles sont aussi siennes.