Dans la recherche frénétique des anticipations du Trumpland qui s’annonce, on est allé chercher dans 1984, le Meilleur des Mondes, voire des romans dystopiens plus obscurs. On peut commencer, comme me le rappelle mon ami le peintre Bruce Thurman, par méditer un court extrait du journaliste américain Henry Louis Mencken.
H.L. Mencken n’était certainement pas un gauchiste, ni même un «libéral» au sens américain du terme, qui comprend tout ce qui est vaguement vers la gauche. Conservateur, hostile à Roosevelt et à son New Deal, il fut parfois accusé de racisme ou d’antisémitisme. Ses vues générales semblent un pot-pourri pas très engageant de Gobineau et de Nietzsche. C’était toutefois un observateur fin et une plume aigue, dont les talents s’exerçaient sur la vie politique locale et nationale, celle du crime, et jusqu’à la critique littéraire. Comme il ne prenait pas pour Nostradamus, on ne peut pas affirmer qu’il avait Donald Trump en tête lorsque, le 27 juillet 1920, il a écrit les lignes suivantes dans le Baltimore Sun : « Au fil du perfectionnement démocratique, le bureau du président est une représentation de plus en plus fidèle de l’âme du peuple. Lors d’une grande et glorieuse journée, les gens ordinaires de cette terre parviendront enfin au but désiré en leur coeur, et la Maison Blanche sera habitée par un imbécile absolu, un crétin totalement narcissique (a downright fool, and a complete narcisistic moron). C’est du Tocqueville aux amphétamines et j’y repense à chaque annonce d’une déclaration ou d’une décision de M. MAGA (Make America Great Again). Contrairement à ce que j’ai entendu, il n’est pas Hitler – mais il n’est pas non plus cette marionnette prisonnière d’un système huilé qui l’étouffe – il a une large marge de manoeuvre et il en profite dans un style qui aurait ravi Mencken s’il avait connu Twitter : nulle surprise ici, car sur le fond et la forme il se situe dans une prévisible et affolante continuité de sa campagne.
Trump voit sa propre installation à la présidence comme une des journées patriotiques américaines essentielles, comparable à celle de George Washington. Il est utile de se souvenir qu’y voir « une grande et glorieuse journée », ce n’est pas nécessairement se laisser séduire par Trump – c’est faire écho à l’ironie d’un critique social pessimiste d’une terrifiante lucidité.
Dans quelques mois, ce sera à notre tour de livrer au monde le miroir de l’âme de notre peuple : ce que nous lisons et entendons nous rassure-t-il sur la solidité de notre propre sagesse démocratique? En rien, au contraire, car si l’intelligence n’est pas en cause chez celle qui a été la première à se réjouir de l’élection du magnat démagogue, les dangers qu’elle représente ne sont pas moindres. Quelle que soit l’issue de l’élection, il est à craindre que notre âme sentimentale, colérique et divisée contre elle-même n’ y trouve une occasion de plus d’exprimer ses humeurs virulentes et de troubler durablement une paix civile et sociale toujours fragile… quelles que soient les promesses des démagogues de tout poil, je ne vois pas les « pauvres gens » gagnants dans cette affaire.