Pour obtenir le droit de déambuler le long des toiles de Vermeer réunies dans l’exposition du Louvre, il faut se préparer en sortant du métro à y ré-entrer aussitôt.
Non seulement l’accès est pire qu’un changement à Chatelet, mais une fois qu’on a passé l’entrée, regarder tranquillement une toile est plus qu’un luxe – une lutte où l’on prend des coups de coude, des coups d’épaule, des coups de pied. Pour tout autre on se découragerait peut-être. Mais s’il reste étrange qu’un art si rare et si intime doive être admiré au coeur d’une cohue accrochée à son audioguide, l’effort de s’en extraire vaut mille fois la peine.
Observer n’importe quelle toile de Vermeer, c’est se plonger dans la contemplation d’un être passionnément et patiemment désiré, et dont l’on sait qu’il nous échappera.
Chaque détail de chaque toile, chaque objet, chaque forme, chaque couleur est chargé d’un érotisme aussi subtil et enivrant que celui qui nous enflamme face à chaque parcelle de la peau de l’être aimé.
Tout cela s’inscrit dans le temps, car chaque scène nous donne à voir non tant ce qui est, que ce qui fut ou sera; nous voici projeté dans la douleur délicieuse de l’attente ou du regret. La réunion musicale ou amoureuse que l’on devine a-t-elle eu lieu, adviendra-t-elle ? La lettre interrompue le restera-t-elle à jamais ? Impossible à savoir en suivant ce seul rayon de soleil ou de nuit, derrière ce rideau à peine soulevé, cette porte destinée à demeurer fermée à nos yeux. Face à Vermeer nous sommes des voyeurs qui ne voyons rien – à notre désir, tout est dérobé aussitôt esquissé et c’est en vain que nous résistons à la foule pour nous gorger des bleus, des jaunes, des drapés, des figures découpées par la lumière oblique… Rien de plus ne sera dit- nous voici chassés du mystère, encore tout éblouis de n’en avoir rien élucidé.