Une des tartes à la crème de l’écriture créative est le rappel de l’importance du détail : le détail juste qui permet de définir un personnage, de caractériser une situation, d’accumuler une charge symbolique.
Il n’est pas surprenant que notre premier maître en ce domaine, dans la tradition occidentale, soit l’un des narrateurs bibliques. Dans la Genèse (XXXVII), le détail auquel nous identifions Joseph est la « tunique à manches » que son père Jacob lui a donnée, parce qu’il l’aime plus que ses autres fils – raison pour laquelle les frères de Joseph le haïssent. Lorsque les frères, après avoir comploté de le tuer, se contentent de le jeter dans un puits, leur premier acte est de le dépouiller de sa tunique à manches. Puis, après l’avoir finalement sorti de là et vendu aux Ismaélites, ils recouvrent la tunique du sang d’un bouc et l’envoient à Jacob : « Nous avons trouvé ceci : reconnais donc si c’est la tunique de ton fils ou non. »
L’on voit que dans ce seul chapitre, au cours duquel la situation de Joseph est exposée de façon très compacte, la tunique est le détail (le seul) qui le définit, un détail qui se charge symboliquement peu à peu, la marque d’affection étant transformée en signe d’affliction. A défaut de le tuer, les frères retirent à Joseph le signe haï de la préférence du père. Taché du sang de bouc, la tunique devient même, ultime insulte, l’instrument d’un chagrin qui ne peut cesser : Il [Jacob] refusa de se consoler et dit : « Je descendrai en deuil vers mon fils au Sheol. ».
De simple élément descriptif, la tunique à manche est devenue un outil narratif et l’objet d’une souffrance que nous partageons, silencieusement, avec le vieux Jacob.
Référence: Genèse, XXXVII.