J’adore les histoires de Toto en général, mais celle qui suit n’en n’est pas une.
Il s’agît bien du grand Totò, le Totò majeur à qui nous sommes quelques-uns, constitués en une société secrète, à vouer un culte : le Prince Antonio De Curtis, pour l’état civil, est le génie méconnu du cinéma italien et mondial ; à la fois Keaton et Chaplin, Louis de Funès et Fernandel (il a tourné avec les deux comiques français – pas ses meilleurs films, d’ailleurs) avec un registre allant de la farce vaudevillesque au cinéma « intellectuel ».
Imagine-t-on le jeune Jean-Luc Godard allant chercher Fernandel ? C’est ce que fit Pasolini, qui exigeait Totò et nul autre pour l’un de ses premiers – et meilleurs – films : Uccellacci e uccellini (Des Oiseaux, petits et gros, en français).
Dans la plupart de ses films comiques, Totò incarne un homme à la fois timide, délibérément lubrique et curieusement respectueux des femmes. Il faut le génie mimique de ce Napolitain pour passer en deux plans de l’expression du mâle libidineux face à une jeune femme aux formes appétissantes à celle d’un homme généreux et discret qui, touché par le malheur d’une jeune fille, intrigue à tout va pour l’arracher à un mariage arrangé où elle serait à coup sûr malheureuse.
Quitte à me faire à nouveau allumer par l’anti-gazalisme forcené de mon lecteur-disputeur, je vois ce Totò-là comme une inspiration possible pour l’homme moderne désemparé face à la femme émancipée : il est possible d’être désirant sans être violent ou méprisant, et cet élan vital nous rend complices et amis de cette moitié du genre humain sans laquelle nous serions seuls – et ennuyés à périr.
Références :
Que les authentiques totoistes – mon ami Nata Rampazzo en tête – me pardonnent, mais je ne peux citer que quelques-unes des oeuvres où brille ce merveilleux prince, clown, poète et philosophe :
– Le Pigeon (I soliti ignoti), du phénoménal Mario Monicelli, dans lequel, sur un toit romain, il donne un inoubliable cours d’ouverture de coffre-fort à ses comparses – parmi lesquels Vittorio Gassman et le jeune Marcello Mastroianni.
– Des Oiseaux, petits et gros, de Pier Paolo Pasolini, un road movie inattendu dans lequel la sensibilité sociale du jeune PPP se marie heureusement avec son humour poétique surréaliste.
– Un Turco Napoletano, de Mario Matolli, une « farce à la française » sans queue ni tête mais délicieuse.
Gendarmes et voleurs, un divertissement improbable, guignolesque et très humain, entre ces deux pôles opposés et complémentaires de l’ordre social.
Pour les italianistes et les puristes, il existe deux coffrets Tutto Totò en import, non sous-titrés mais délectables de bout en bout.
Dans une abondante filmographie, je suppose (peut-être à tort) qu’on peut négliger des titres comme Sexy Totò, Totò et Cléopâtre ou encore Totò contre Maciste. Totò en couleurs est un film à sketches assez complètement oubliable, qui ne vaut que pour les moments où les origines vaudevillesques de notre héros sont mises en valeur.