So follohoueurs, follohoueuses of my heart, you want to write a fugue ?
Le génial Glenn Gould en a écrit une que je vous recommande, car elle est délicieuse d’humour et empreinte d’un amour profond du Kapellmeister J.-S. Bach que le Crazy Canuck a si glorieusement servi. Franchement c’est pas facile – et quoiqu’ arrière-petit-fils d’un compositeur et petit-neveu d’un pianiste, je ne suis pas la personne indiquée pour vous conseiller dans un genre que peu de modernes ont osé suivre depuis Liszt, Ravel et le génial Chostakovitch. On passe, donc.
So, follohoueurs, follohoueuses of my heart, you want to be a rock’n’roll star!
Nothing I can do for you non plus : après avoir assisté à mon premier concert de rock (Rolling Stones, 1971, Palais des Sports de Paris), ayant observé toutes ces jeunes filles qui jetaient leurs tee-shirts sur scène pour faire danser leurs jolies poitrines nues sous les yeux de Mick Jagger, je trouvais que rock star c’était assez cool, mais j’ai raté le coche. J’ai été le bassiste (médiocre mais enthousiaste) puis le guitariste rythmique (médiocre mais enthousiaste) d’un groupe qui n’avait pas de nom, pas de jeu de scène et un répertoire limité. Pour ne rien arranger à notre cas, nous avions tous dépassé la trentaine lorsque nous avons débuté et c’étaient pas des minettes déchaînées qui nous attendaient à la sortie, mais nos légitimes épouses et nos petits nenfants. So meutche pour les rock,n’roll dreams.
À la place j’ai fait écrivain. Mon heure de staritude littéraire s’est produite il y a un peu plus de quarante ans en Grèce : mon amoureuse au bras, mon sac sur le dos, j’entrais dans un modeste établissement hôtelier d’Athènes lorsque le réceptionniste s’est précipité vers moi. Sky ! étais-je en présence d’un Hellène francophile ayant lu un de mes deux premiers romans ? Non… simplement, observant une machine à écrire Hermès Baby verte au bout de ma main, cet être de culture n’avait pu résister à un élan d’admiration : au pays d’Homère, l’apprenti scribouillard que j’étais, reconnaissable non à son regard enflammé, mais à son outil de travail, jouissait d’un prestige inouï. Me laissant le sac sur le dos, le jeune homme m’arracha littéralement la machine de la main et, la portant comme si c’eût été un objet sacré, nous escorta jusqu’à notre chambrette. De ma longue carrière dans le monde des lettres, je n’ai jamais été aussi « cool » qu’à ce moment-là.
So, après mûre réflexion, you want to write a book?
You know what ? Don’t ! Il y a de par le monde trop de livres et trop peu de forêts. Trop peu de lecteurs également, si on excepte les moutons de Panurge qui vont en masse acheter le dernier bête-seller ou le dernier prix – prix Zunic, prix Magaz, prix Zonier, prix Mystère, Mono prix ou Fran prix. Anyway les prix vous vous en battez léc’ ou lézov’,[1] vos ambitions sont ailleurs, vous rêvez d’écrire Ze Book.
Souvenez-vous de l’inscription d’un scribe (égyptien, assyrien, chais plus) il y a quelques milliers d’années : tout a déjà été écrit, tout a été dit, à quoi bon en rajouter ? La plainte a été reprise au xviie siècle par M. de La Bruyère sous une forme à peine différente.
Vous insistez quand même pour l’écrire, ce putain de livre ? Tant pis pour vous.
Parce que j’ai été longtemps éditeur, parce que j’ai publié une quinzaine de livres, des aspirants écrivains débutants me supposent doté d’une science et d’une sagesse dont je suis dépourvu – sans compter de relations que je n’ai pas cultivées hors un microscopique jardin d’amitiés.
Étant établi que je ne sais pas les secrets de la réussite d’une entreprise d’écriture, pas plus que je ne connais les ficelles pour être publié, je vous propose néanmoins, follohoueurs, follohoueuses de mon coeur, quelques fragments glanés au fil d’une vie dominée par les mots.
PROLOGUE
« Bien faire la cuisine » ne signifie pas qu’on ait la compétence d’ouvrir un restaurant ; de même « bien écrire » ne signifie pas qu’on soit capable d’écrire un livre. Dans les deux cas, ne pas oublier que des clients vont être invités à payer… Ça y est, vous êtes au courant, l’édition est un commerce ; malgré votre faible sens des affaires, vous en êtes sûr(e) : vous avez un livre à écrire, ça fait des années que vous y pensez et c’est le moment… Sur ce, blague raciste (précision : c’est un copain malien de bistrot qui me l’a racontée) : « Qu’est-ce qui est long et dur chez les Noirs[2] ? » Quel est le rapport, me direz-vous ? Vous voulez écrire un livre ? Spoiler alert : si vous croyez que ça va être facile, parce qu’on vous l’a dit cent fois, « toi qui écris si bien, tu devrais écrire un livre », quittez cette vaine espérance, car ça va être long et dur. Ça vous fait peur ? Laissez tomber tout de suite : franchement, si vous avez du temps libre, il y a des tas de trucs sympas à faire, des balades en forêt, des expos, des randos, des séries Netflix, des films, des livres, l’apprentissage d’une langue étrangère, ou d’un instrument de musique, la danse, la calligraphie, le jardinage, le repassage, la cuisine, la masturbation, le macramé, sans oublier la sieste, élément majeur de l’essentiel, l’ineffable Rien…
Capish ? Vous êtes décidé malgré tout à vous lancer ? Alors fasten your seat belts !
CHAPITRE 1. – MISE EN ROUTE
Deux anges à garder dans le viseur, que vous soyez croyant ou pas.
Mon amie allemande Karin, rencontrée en Inde au cours d’un séjour ayurvédique, était une impossible réac qui insistait pour me convaincre d’une évidence : que je le veuille ou non, que j’y croie ou non, Dieu veille sur moi aussi. Elle nourrissait une passion païenne pour le grand Roger Federer et, quoique adversaire résolue de toutes technologies modernes, inventions sataniques, elle m’empruntait mon téléphone pour vérifier les derniers résultats de son chéri. Sans prosélytisme, lourdingue, avec un humour surprenant pour une extrémiste, elle partageait avec moi ses convictions religieuses profondes. Karin me dit un jour espérer être accueillie au Ciel par deux anges. Je lui demandai leurs noms.
Le premier, dit-elle, s’appelle « fais de ton mieux ».
Quant au deuxième, il s’appelait « sois patient ».
Que les deux anges qui attendent Karin fassent l’effort de se rapprocher de la planète Terre et vous accompagnent !
Deux axiomes à n’oublier sous aucun prétexte :
Axiome no 1 : « Ne parle pas de ce que tu ne connais pas et ne comprends pas » (Docteur Anton Pavlovitch Tchekhov).
Corollaire : lorsque votre sujet s’éloigne de ce dont vous avez une expérience directe, prenez le temps de la connaissance, non pas en ingérant à toute vitesse le maximum de données sur Internet, mais en vous imprégnant en profondeur, de la façon la plus sensorielle possible : pour faire vivre des lieux nouveaux il faut en avoir tourné la terre entre ses doigts, les avoir respirés, arpentés, le jour, la nuit, en avoir longuement absorbé les vibrations. Pour les humains réels ou imaginaires il faut afin de les comprendre un peu les fréquenter longtemps, lire ce qu’ils ont lu, voir ce qu’ils ont vu, écouter ce qu’ils ont écouté et éviter de porter sur eux des jugements hâtifs – éviter de les juger tout court.
En complément, j’espère que vous avez suivi depuis longtemps un autre conseil du docteur Tchekhov, celui d’observer, d’écouter et de noter les détails frappants de la vie quotidienne. Vous avez donc depuis longtemps un petit carnet – ou bien un fichier sur votre téléphone – pas la peine de photographier, car sauf si on est photographe, quand on prend une photo on ne regarde pas vraiment. L’ancien légionnaire Loup Durand, excellent nègre de Paul-Loup Sulitzer et bon écrivain populaire, poussait à la manie le goût des noms propres : il les notait dès qu’il en voyait un à son goût et en conservait des collections entières dans des petits carnets, dans lesquels il allait pêcher lorsqu’il avait besoin de nommer un de ses personnages. Si vous n’avez pas acquis la bonne habitude du carnet de notes, il n’est jamais trop tard pour commencer.
Axiome no 2 : « N’enveloppe pas tes écrits dans le sucre »(Docteur Anton Pavlovitch Tchekhov).
L’avantage d’écrire en restant proche d’émotions familières est une forme de justesse qui ne trompe pas et à l’évidence de la sincérité. Ses risques sont un sentimentalisme à tendance larmoyante et un exhibitionnisme satisfait. La souffrance est chez beaucoup une des conditions de la création ; elle ne doit pas être un laissez-passer pour le n’importe quoi auto-apitoyé, ; même si vous parlez de vous-même. C’est affreux qu’on vous ait fait du mal, mais ça ne vous donne pas de talent pour autant. Je me souviens d’un primo-auteur dont le manuscrit était particulièrement long et ennuyeux et qui, à toute critique répondait au bord des larmes par cette triste et épouvantable phrase : « Mais c’est vrai ! Tout s’est passé exactement comme ça. » L’expression sans filtre de la vérité de vos sentiments ne présente pas d’intérêt par elle-même.
Un dernier conseil de cette nature – pas une interdiction, une supplication à genoux : de grâce tenez-vous à l’écart des clichés. Ok, la fiction est une exploration de l’inconnu, mais quand vous n’y connaissez rien et que vous croyez inventer, en réalité vous ne faites que recycler des images vues à la télé.
Avant de poursuivre
Si vous voulez perdre du temps, allez voir sur Internet avec les mots clés « comment écrire un best-seller ? ». Ça ne sert à rien. Si vous voulez en plus perdre de l’argent, vous pouvez même acheter des formations en ligne.
Si vous insistez pour perdre du temps et de l’argent vous pouvez en plus vous inscrire à un « atelier d’écriture » : certains sont proposés par des auteurs, d’autres par des éditeurs. Si vous nourrissez l’espoir qu’un stage dans l’atelier Galligraseuil vous offrira un accès privilégié chez Galli, Gra ou Seuil, laissez tomber.
À part ça, je ne doute pas qu’on y rencontre des gens sympas, voire un(e) chéri(e).
And now, without further ado, au boulot
1 Respirez.
Même si vous êtes un spécialiste de la plongée en apnée, il ne faut pas oublier de respirer quand vous pratiquez (la course à pied, la musique, l’amour, l’écriture).
2 Inspirez-vous, ne pastichez pas.
Si vous voulez écrire, il y a fort à parier que vous êtes déjà un(e) lecteur(trice) passionné(e). Il n’y a pas de mal à ça, au contraire. Comme le rappelait l’excellente et bien nommée Francine Prose il y a quelques années à ceux qui craignent d’être « influencés » dans leur écriture par de grands écrivains : « Personnellement, je ne vois pas d’inconvénient à être influencée par Tolstoï ou Dostoïevski. »
N’oubliez pas, toutefois que vous ne vous lancez pas dans cette incertaine entreprise pour écrire « comme » ceux que vous admirez ou à leur manière : le pastiche peut être un genre amusant, mais vous ne ferez pas preuve d’une excessive prétention en ayant simplement l’ambition de trouver votre voix/voie à vous. Que vos goûts personnels soient plutôt « littéraires » ou plus « grand public » – ou les deux, c’est pas interdit -, gardez-vous d’imiter ceux que vous aimez.
3 . Soyez bête.
Combien de romans sont gâchés par les prétentions à l’intelligence de leur auteur, à son envie débordante de délivrer des messages, d’exposer ses idées. Récit personnel ou roman, vous n’écrivez pas une thèse, vous racontez une histoire. Quitte à passer pour niais aux yeux des esprits forts et des malins[3], racontez-la le plus simplement, le plus honnêtement possible.
4 . Trouvez le chemin le moins parcouru[4].
L’industrialisation et la mondialisation de l’édition font du livre un marché qui impose des « formatages » plus ou moins clairs, plus ou moins explicites. N’oubliez pas que si le thriller a tendance à se standardiser sous l’influence de John Grisham, l’horreur sous celle de Stephen King, le roman historique celle de Dan Brown, le polar celles de Harlan Coben ou Michael Connelly, l’autofiction celle d’Annie Ernaux, la littérature jeunesse celle de J. K. Rowling[5], tous ces auteurs majeurs dans des genres divers ont imposé leur voix et tracé leur voie à leur façon. Do it your way, Frankie – et you too, Franca !
5. Soyez ambitieux.
Vous en avez longtemps rêvé donc ne soyez pas petit bras, allez-y à fond en suivant votre instinct. Si vous vous plantez, que ce ne soit pas dans la médiocrité.
6. Soyez humble.
Vous êtes le douze milliardième humain à croire qu’il/elle a quelque chose d’intéressant à raconter. Ayez l’humilité de savoir que chaque ligne de votre littérature n’est pas forcément ce truc génial qui n’a jamais été dit avant. Autant que possible, restez clair et concis.
7. Laissez s’exprimer l’impatience.
Un texte littéraire n’est ni une bonne idée, ni un bon sujet, ni un bon titre, ni une bonne première phrase. C’est une nécessité intérieure, une obligation physique : il vous est impossible d’y échapper, vous ne pouvez pas faire autrement. Si vous pouviez, vous ne seriez pas en train de lire ces conseils.
8. Soyez patient.
La Chartreuse de Parme a, nous dit-on, été écrite en cinquante-deux jours. Vous n’êtes pas Stendhal, ni Alexandre Dumas, qui avait de plus la chance d’avoir dans son ombre un certain Auguste Maquet, coauteur reconnu ou ignoré de nombre de ses grands livres, dont Monte-Cristo… Même si on a vu des livres, des chefs-d’oeuvre à l’occasion, s’écrire à toute vitesse, tout le monde n’est pas Georges Simenon, connu pour sa vitesse d’exécution insensée, et il est rare qu’un bon livre s’écrive en une semaine ou deux. Sauf exception, l’écriture n’est pas un sprint, mais une longue randonnée en terrain accidenté. Et comme disait la conseillère financière américaine Suze Ormond, « there are no shortcuts ». In french, il n’y a pas de raccourcis.
9. Soyez discipliné.
Quand vous vous mettez à votre table de travail, travaillez. Ne consultez pas Internet toutes les cinq minutes et laissez votre téléphone à distance. N’allez pas boire un café tous les quarts d’heure.
10. Laissez faire.
Les contraintes que vous vous imposez (nombre d’heures, style « ce matin quand les gosses sont à l’école, vendredi parce que j’ai pris mes RTT, cette semaine parce que j’ai posé mes congés pour ça ») peuvent être un piège. Si vous avez décrété que vous vous y mettiez à neuf heures et qu’à neuf heures vous êtes sec, ou crevé, mieux vaut vous allonger et faire une courte sieste que de piocher désespérément dans une mémoire ou une imagination rétives.
11. Est-il préférable d’écrire le jour, ou la nuit ?
Un exemple au hasard : moi. Longtemps je me suis couché de bonne heure (ça vous rappelle un truc ? bingo, oui, un écrivain de l’ancien temps a commencé un livre comme ça) : mes journées étant occupées par un travail salarié passionnant, je me levais au milieu de la nuit pour écrire ce que mon père appelait ses « petites couillonnades ». Un AVC a mis fin prématurément à ma vie de salarié ; insomniaque chronique, j’ai continué à écrire la nuit parce qu’on est peinard et qu’il arrive qu’une ombre tentante se dessine derrière une fenêtre éclairée et stimule l’imagination ; depuis que ma neurologue m’a gentiment engueulé en m’interdisant de faire un deuxième AVC, j’essaie de rester couché la nuit et d’écrire pendant la journée. Quand une idée géniale me vient la nuit, je ne bondis plus pour la noter : soit elle a disparu le matin et elle n’était peut-être pas si géniale que ça, soit elle s’est accrochée aux parois et il est toujours temps de la noter quand il fait jour.
12. Les « trucs ».
Vous avez sûrement lu des dossiers sur le thème « Comment écrivez-vous ? ». Ça ne vous sert à rien. Qu’untel écrive sur un cahier ligné, un bloc Rhodia, un cahier Clairefontaine, sur des feuilles blanches ou à l’ordinateur, ça ne vous indique en rien le support qui vous convient le mieux ; idem pour les questions de stylo à encre, pointe Bic, feutre, crayon, voire plume sergent-major. Surtout n’achetez aucun des (nombreux) ouvrages qui vous révèlent les secrets de l’écriture, comment créer des personnages, comment construire une histoire. Tout ça, c’est drouille, arnaque et compagnie. Vous avez votre papier, votre écran, ce truc à écrire qui vous fouaille. Go !
13. Un lieu où écrire.
Là encore, pas de règle. Certains préféreront la tranquillité d’une pièce fermée, d’autres s’installeront à la table de la cuisine, au bistrot du coin avec leur ordinateur ou leur cahier.
Un piège
« Je peux pas écrire parce que j’ai pas d’endroit, pas de table, pas la bonne lumière… » c’est du bidon : aménagez le possible, ou bien démerdez-vous. Ou bien vous cherchiez seulement une excuse pour exprimer vos regrets futurs de n’avoir pas écrit ce que vous rêviez d’écrire…
14. Musique ?
Y en a ki sont pour, d’autres contre. Moi chais pas, y a des jours avec et des jours sans.
15. Des rituels ?
Chais pas. Chacun son truc. Moi j’en ai pas, ni d’objet fétiche à part deux : un petit outil inca offert par mon camarade Jean-Daniel Baltassat ; une des deux cornes d’un taureau que j’ai vu mourir à l’abattoir de Tarascon.
16. Assis, debout, couché ?
Peu importe, du moment que l’installation permet une posture confortable. Si c’est assis (mon habitude), un bon choix de chaise est important, et n’oubliez pas les appuis : chaise face à la table, pas de travers, pieds posés au sol, bien parallèles, largeur de bassin, posture de la montagne assise, mes lecteurs yogis et yoginis comprendront. Et puis l’appui intérieur, situé à peu près au-dessous du nombril : le chi des arts martiaux et de l’énergie sexuelle est aussi celui de l’élan créatif… Ready ? Au taf !
CHAPITRE 2. – J’ÉCRIS MON LIVRE
1. Un plan ?
Chais pas, faut voir. P’têt’ ben qu’oui, p’têt’ ben qu’non !
Non : écrire, c’est la liberté, on n’est pas à l’école.
Oui : certes un livre n’est pas un film, qui a besoin d’un séquencier précis et détaillé scène par scène, mais il y a des avantages à préparer le terrain. Blaise Cendrars, l’auteur du magnifique Poème du transsibérien, disait ainsi planifier ses romans dans le détail et n’avoir plus ainsi qu’à rédiger pour « remplir », ce à quoi il prétendait ne pas prendre spécialement de plaisir Menteur !.
Conclusion : perso chuis plutôt pour le plan, avec un caveat[6] : qu’il ne soit pas un carcan, plutôt une main courante qui vous guide en vous laissant l’occasion de ces courtes excursions qu’on appelle digressions et qui sont parfois le meilleur du parcours.
2. Deux trucs qu’on ne vous dit pas – ou trop rarement. Au début d’un livre, les deux questions stylistiques fondamentales sont : « à quel temps l’histoire est-elle racontée ? » et « qui la raconte ? ». Dans les deux cas les réponses ont des conséquences, car chacune présente des contraintes spécifiques ; de plus, il faudra rester au long du texte en cohérence avec les choix de départ. En respectant vos propres choix, vous allez éviter la confusion inutile et dangereuse chez le lecteur :
a) Le temps
– écrire au présent est naturel et tentant, mais présente de redoutables inconvénients ;
– le couple passé simple/imparfait est un classique qui a l’avantage de la souplesse et permet de créer sans effort des « plans » temporels différents ; l’imparfait doublé de l’imparfait du subjonctif pour la concordance des temps peut vous sembler bitrange autant qu’ézarre[7] (m’enfin, Léopoldine, putain de nonne, ne le comprîtes-vous point ? Il fallait afin que je connusse votre état que vous m’en informassiez) ;
– le passé composé a son charme, mais il est malaisé à manier pour certaines scènes, et il devient vite lourd ;
– le futur a eu sa mode (qui allait avec le « tu » – voir ci-dessous), mais dans la durée il présente de gros inconvénients ;
– le conditionnel : il y a eu des tentatives en ce sens, me semble-t-il, mais je n’ai aucun exemple probant en tête.
b) qui raconte ?
– je, pourquoi pas ? Mais de quel « je » s’agit-il ? Un narrateur témoin ? Un protagoniste narrateur ? et puis ce « je » est-il fiable ? Le meurtre de Roger Ackroyd, le premier roman d’Agatha Christie que j’ai lu, est un bon exemple du potentiel diaboliquement efficace d’un narrateur à la première personne à qui le naïf lecteur n’a pas forcément raison de faire confiance ( je suis gentil, je ne spoile pas pour les chanceux qui n’ont pas encore lu)
– « il » ou « elle » présuppose le narrateur omniscient. S’il est tellement courant, c’est qu’il est souple, pratique et favorise la clarté du récit ;
– « tu » a eu sa mode dans les années 1970, mais je le trouve très vite lassant ;
– « nous » ou « vous » : compliqué, nous éviterions, vous aussi, donc ;
– « ils », « elles » ou « ielles » : idem.
3. Bougez.
Pas toutes les trente secondes, mais même en ayant adopté une bonne posture vous avez besoin de bouger de temps en temps, ne serait-ce que pour vous décontracter les épaules et le dos, ou secouer vos neurones qui s’engourdissent dans l’immobilité.
4. Buvez.
Balzac c’était le café, pour d’autres c’est le vin rouge ou blanc, le whisky, le Coca, le thé à la menthe fraîche, l’absinthe, la bière, l’Orangina… Si vous en tenez pour les boissons excitantes, soyez prêt à assumer les conséquences pour votre foie et votre santé en général. Moi c’est l’eau – une gourde que je remplis plusieurs fois dans la journée.
5. Faites pas (pas trop) chier vos proches.
OK vous écrivez et c’est très important, vous n’êtes pas toujours aussi disponible que d’habitude pour les tâches ou les conversations du quotidien, mais votre conjoint(e) et vos enfants n’ont pas à être punis parce que l’écriture n’a pas avancé comme vous vouliez aujourd’hui. A la question « Tu as eu une bonne journée ? » vous n’avez pas besoin de répondre en détail, mais quelques mots seront mieux qu’un « mmm » agacé ou – pire – un aboiement. Pendant les repas vous avez des absences parce qu’il vous arrive de penser à un passage du livre en cours et vous êtes d’une humeur bizarre, ardue à déchiffrer pour les autres : à la fois vous ne pensez qu’à ça et voudriez ne parler que de ça, et en même temps vous refusez de raconter ce que vous écrivez parce que c’est votre voyage secret et si vous en dites un mot tout va s’évanouir et vous ne pourrez plus écrire. Souvenez-vous : c’est pas de leur faute si cette étrange obsession s’est emparée de vous – et ils n’ont pas tort de vous regarder comme un malade atteint de symptômes difficiles à comprendre.
CHAPITRE 3. – EH BIEN DANSONS MAINTENANT
1. Écrire c’est comme la valse ou le tango, il y a trois temps à respecter.
Temps 1 : la