REPETITION INTERDITE

22 mars 2009

"Quand dans un discours se trouvent des mots répétés, et qu'essayant de les corriger, on les trouve si à propos qu'on gâterait le discours, il faut les laisser, c'en est la marque; et c'est là la part de l'envie, qui est aveugle, et qui ne sait pas que cette répétition n'est pas faute en cet endroit; car il n'y a point de règle générale."

Nous avons pourtant appris, depuis l'enfance, que la répétition était notre faute la plus commune, sans voir que c'était seulement la plus visible et la plus facile à blâmer d'un trait rouge. Nous avons même à notre disposition, aujourd'hui, des traqueurs de traitement de texte qui nous permettent, en une longue séance d'auto-flagellation stylistique, de nous lacérer un jour les "semble" et l'autre les "paraît" (noter au passage que remplacer l'un par l'autre est un remède pire que le mal).

Avec le temps, j'ai toutefois développé une tendresse pour cette faute particulière et si humaine. Editant les contes de mon père, je me suis rendu compte qu'il avait raconté la même histoire à plusieurs reprises, à différentes époques de sa vie. Quelques mots seulement séparaient certaines versions ; d'autres étaient métamorphosées. Lui reprocher cela serait remettre en cause l'art ancien du conteur, dont le job, si l'on peut dire, est de raconter toujours les mêmes histoires, retouchant un mot par soir selon les réactions de l'auditoire, à la façon des auteurs de théâtre et des poètes.

Et puis, comme écrivait Julien Gracq, "vous dire "il pleut"? Dites "il pleut". Même pour une seconde averse."

Références: Pensées de Pascal (plusieurs éditions disponibles); Tous les Contes de ma Provence, d'Yvan Audouard (collection Bouquins/Robert Laffont); En lisant, en écrivant, Julien Gracq (José Corti).