MAIS DANS QUEL ORDRE

20 mars 2009

A mes débuts dans l’édition me fut assignée la noble tâche de relire et d’annoter des dizaines de textes écrits pour Pierre Bellemare dans le but de retenir les meilleurs pour l’édition. J’entends encore Jacques Antoine, le « cerveau » de l’atelier Bellemare, qui avait mis au point avec son partenaire ce format retenant quotidiennement des millions d’auditeurs, m’énoncer son principe littéraire de base : « Nous écrivons des histoires avec un début, un milieu et une fin. » L’autre moitié de mon activité d’alors consistant à faire des photocopies en nombre industriel, j’avais parfois l’impression de vivre dans une sorte de « Métropolis » de l’édition, où le bruit obsédant du chariot de la photocopieuse se mêlait à l’entretien d’une mécanique cérébrale destinée à me permettre de juger en un minimum de temps de l’efficacité des « Histoires Extraordinaires » de la voix la plus célèbre de la radio française. Mes lectures s’étant quelque peu enrichies depuis cette époque, la fréquentation assidue des Maupassant et des Tchekhov, des Cheever et des Carver, ne m’a pas amené à modifier substantiellement ce triste truisme. Le génie est tout juste suffisant à l’auteur qui n’a pas, en quelques lignes, exposé le cœur d’une situation surprenante. « L’année de mes quatre-vingt-dix ans, j’ai voulu m’offrir une folle nuit d’amour avec une adolescente vierge. » Après ce début de Garcia Marquez, qui n’aurait envie, avec un peu de crainte, de savoir la suite de l’histoire ? Tout juste ai-je, récemment, découvert cette nuance apportée par la grande Flannery O’Connor à ma « loi de Bellemare ». L’auteur des « Braves Gens ne courent pas les rues » s’y connaissait : « Une histoire, écrit-elle, comporte un début, un milieu et une fin. Mais pas nécessairement dans cet ordre. »

Références: Les Braves gens ne courent pas les rues, de Flannery O'Connor (Gallimard); Mystery and manners (non publié en français à ma connaissance, contient les divers textes de la romancière sur l'écriture).