Cette maxime s’applique aux fans de baseball en général – mais nulle part aussi bien qu’à Boston, où les supporters de l’équipe locale ont souffert pendant presque un siècle d’une forme de malédiction – le XXIe siècle leur est plus clément, puisqu’ils se sont mis à gagner de temps en temps, sans perdre une mentalité fraternelle, forgée dans une invraisemblable succession de désastres.
Il n’est nulle équipe que les fans de Boston détestent plus que leurs rivaux et bourreaux historiques des New York Yankees, l’équipe qui est mon Olympique de Marseille du baseball.
C’est pourquoi, venu à Boston à l’invitation de mon ami Brian, lorsqu’il m’a présenté à sa sœur comme « presque parfait mais supporter des Yankees », celle-ci a esquissé un geste pour retirer la bière qu’elle avait commandée pour moi. Ayant fermement refusé l’injonction de porter une casquette Red Sox (en mesure de conciliation et de prudence pour ma sécurité, j’avais laissé à New York ma casquette Yankees et revêtu un chapeau orange), je suis néanmoins entré avec mon ami et sa famille dans Fenway Park – un des plus anciens stades de baseball des Etats-Unis et toujours un des plus beaux. Pour des raisons que l’on comprendra peut-être mieux après m’avoir lu, Fenway refuse de se livrer sans réserve à la frénésie capitaliste expansive des propriétaires de clubs, qui rêvent toujours de détruire pour reconstruire en plus grand, avec plus de loges, plus de boutiques, plus de pognon à faire…
On va à Fenway en famille, comme à la corrida à Barcelone, et comme en Catalogne, les femmes y sont aussi nombreuses que les hommes – et pas moins passionnées. M’étant vu remettre, dès le début du match, une main en mousse aux couleurs des locaux, j’ai poliment décliné l’invitation à l’agiter au rythme des belles actions des Sox, avant de la remettre à ma voisine, Habana, dix ans et nièce de Brian, qui, assise à côté de ses grands-parents, manifestait bruyamment sa joie devant le bon comportement de son équipe.
A Fenway, comme dans les autres stades américains, le match ne débute pas sans l’exécution devant le stade debout, main sur le cœur, du Star-spangled banner ; mais pendant la pause au milieu de la 7e manche, quand le reste des Etats-Unis commence par chanter God Bless America, la Red Sox nation de Fenway entonne directement Take me out to the ball game, l’hymne du baseball connu par tous les fans, où dans chaque stade au refrain on remplace les mots de « home team » par le nom de l’équipe adorée. Comme un lâche, là où 50.000 personnes hurlaient root root root for the Red Sox, j’ai chantonné à voix basse root root root for the Yankees.
A Fenway comme ailleurs, il arrive qu’en dehors d’encourager les siens on hue les joueurs adverses – quand on les déteste viscéralement ou quand ils commettent une action brutale… mais jamais il ne se produirait à Fenway, ce qui est arrivé au Texas il y a quelques mois quand, après un geste dangereux d’un joueur des Toronto Blue Jays, en protestation contre cette action si visiblement anti-américaine, le stade d’Arlington s’est mis à chanter l’hymne national – à Boston on est là pour son équipe, pour boire de la limonade ou des bières entre amis et se donner des nouvelles de la famille, de la vie, pas pour se lâcher dans les manifestations de patriotisme xénophobe. Et à la sortie comme à l’entrée, les couleurs rouge et noir des supporters locaux se mêlent à celles, bleu et blanc, des supporters adverses (les Kansas City Royals, tenants du titre des world series 2015).
Fin de match. Ces salopards (ça y est, ils nous ont refilé leur complexe d’infériorité et depuis qu’on est faibles on les hait, eux, aussi fort qu’ils nous haïssaient, eux, avant, au temps béni où on les humiliait) de Red Sox ont gagné, ils sont bien placés pour la course aux play offs alors que nous, malgré de bons jeunes joueurs qui nous font espérer pour l’avenir (la drogue mondiale du supporter), il faudrait un miracle – non, une série de miracles ! –pour qu’on se qualifie, misère. Mon ami et sa famille sont si contents, que je suis content pour eux avec eux…
Et après une dernière bière à la myrtille avec son amie d’enfance Katherine (sa « Sally » comme dans le joli film When Harry met Sally – jamais amants et toujours potes, but who knows ?), Brian me raconte que, traversant le Bronx un jour de match en tenue complète Red Sox, il tombe sur un grand Black estampillé Yankees de la tête aux pieds.
« Tu as des sacrées couilles de venir ici habillé comme ça », dit le Black.
Et il le prend dans ses bras pour lui administrer un énorme hug.
Je vais te dire, même si on regagne un jour la Ligue 1, avant que je fasse un câlin à un mec en tenue PSG – il faudra qu’elle soit plus que mignonne !