Vu que ta petite nièce est une amie, j’ai débuté la lecture du livre qu’elle te consacre avec un peu de cette excitation mêlée d’inquiétude qui accompagne la découverte des oeuvres de ceux que nous aimons.
Collectionneur de premières phrases, j’ai été emballé par la première : « J’aime depuis toujours un homme que je n’ai jamais connu. »
Cet homme, c’est toi – et la suite du récit est à la hauteur de cette première phrase décidée d’aventurière.
Mon cher Albert, ta vie a eu ses chapitres faciles du plaisir et de l’argent mais elle n’a jamais été simple – et si elle s’est achevée dans la tragédie collective d’Auschwitz, le grand mérite de ton écrivaine de petite nièce est d’avoir mis tout son talent de journaliste-enquêtrice, d’amoureuse et de styliste pour extraire ta figure – ta figure à toi, Albert, 1,63 m, voix de fausset, physique passe-partout de petit juif d’Algérie qui se découvre homosexuel à une époque où l’on n’arbore pas sa « gay pride » sur un char – où, labellisé « inverti », on la dissimule comme une honte, une maladie, dont il faut tout faire pour guérir.
Ce que j’ai compris de toi, grâce à Brigitte, justifie pleinement l’adjectif de « magnifique » qui a été accolé à ton nom pour le titre – car magnifique tu l’es, jusque dans tes faiblesses, ton non-héroïsme , ton courage d’avoir tout fait pour non seulement essayer de vivre comme tu l’entendais – mais y réussir jusqu’à ce qu’un moche jour de 1943, la Gestapo ne fasse irruption dans le bel appartement de Nice que tu partageais avec ton « père adoptif »-amant, et n’expédie ton destin rejoindre celui de millions d’autres partis en fumée.
Ta BB a débuté son entreprise avec le projet avoué de retrouver qui avait pu te dénoncer et elle s’est donné un mal considérable pour y parvenir… je ne sais pas si tu as eu le temps de lire le livre, car je t’imagine très occupé – mais autant te dire tout de suite, sans trahir le suspense, que plus on avance dans la découverte de ta vie moins ça revêt d’importance – et ce qui compte est simplement le portrait de toi en ces temps étranges, si proches et si lointains. Elle cite Modiano et Camus, BB, modestement, timidement – mais elle les cite à bon droit, car elle fait de toi un cousin séfarade de l’inoubliable Dora Bruder – et je lui suis reconnaissant car sans sa patience, son amour mystérieux, son écriture heureuse et juste, ta vie serait restée une vie de « muet ». Quand tant de livres publiés, quoique décemment écrits, nous laissent avec le sentiment du « pourquoi pas mais à quoi bon ? », celui-ci nous touche secrètement, intimement, juifs ou non juifs, homosexuels ou pas, croyants ou non, êtres humains tâtonnant comme des « aveugles en plein jour » et qui avons, grâce à elle, trouvé en toi un magnifique ami.
Référence :
Brigitte Benkemoun : Albert le magnifique (parution aux éditions Stock le 7 septembre 2016)