PREMIÈRES IMPRESSIONS DU MONDE D’APRÈS

6 avril 2021

Une mamie piquée (à quoi ? Peufaïzeure ? Moderena ? Assetra-Zen et Ka ?) entend des voix en même temps qu’elle a des visions et je me pose des questions : qu’est-ce qu’ils lui ont donné en plus, dans son vaccinodrome ? Ou bien le truc a été tourné dans une salle de shoot : cannabis, shit, cocaïne, crack ? Peut-être que mamie n’est pas une actrice, mais une senior alcoolique en crise de delirium tremens ? La deuxième hypothèse m’étonnerait quand même, donc je penche pour la première. Conclusion : dans le monde d’après, on confie aux soignants des stocks de produits hallucinogènes qu’ils zadministrent à la demande des patients après entretien avec la psychologue.

Les pubs… je les regarde sur la Deux entre N’oubliez pas les paroles (flippant, je connais pas le quart de la moitié des chansons) et le Journal de 20 heures (une habitude conservée du monde d’avant : « Il est 20 heures, les titres du Journal ») ; je les regarde sur la Une après le 20 heures en attendant le tirage du Loto (sous contrôle d’un huissier de justice), la météo puis Canteloup (tu crois qu’il va faire Hollande sur son scooter ? Ça fait longtemps qu’il a pas fait Ségolène, tu trouves pas ?) ; je les regarde le dimanche soir sur Canal+ entre la première partie du Canal Football Club et le match ; je les regarde même sur Arte, où il y en a moins, mais quand même. Là aussi, révolution ! Il y a à peine un an, au début du premier confinement, on voyait encore des gens s’embrasser, se serrer la main, tous ces gestes non barrières où nous risquons nos vies plus que dans les métros bondés ou la queue au Louvre pour apercevoir la Joconde. Fini !

Mieux que ça, il y a un an à peine, tous les fabricants voulaient encore qu’on consomme, qu’on achète plus, plus moderne, moins cher.

Maintenant ils veulent tous notre bien et acheter un nouveau liquide vaisselle, c’est participer à la sauvegarde de la planète, manger un steak contribuer au bien-être animal, acheter du café aider des petits paysans costariciens. Même Amazon, non content d’assurer les carrières de ses salariés — tous représentants de la « diversité » — ne s’est installé en France que pour filer un coup de main aux producteurs de potagers intérieurs bio.

Dans ce concert humanitaire, il y avait une Greta Thunberg : la petite fille qui reprochait à son papa d’acheter trop de bouteilles en plastique et proposait à la place une fontaine magique pour transformer l’eau du robinet en eau pétillante. L’engin me rappelle l’arnaque de La Reine des pommes : ce tube dans lequel les naïfs sont invités à introduire des billets de 10 dollars qui seront transformés à la sortie en billets de 100. Évitons tout malentendu : je ne doute pas que l’eau de Ha-ha Stream ne soit délicieusement pétulante — voire subtilement aphrodisiaque ; je constate seulement que son fabricant a substitué le discours écolo « cool » et « positif » au discours écolo agressif et culpabilisant (entre nous, la petite avait une voix très énervante).

La seule pub où le monde d’après échoue, c’est celle des Restos du Coeur. Dans ce monde d’après là, les gentils militants associatifs arrivent avec leur nourriture et ne trouvent personne, car on vit dans un monde où tout le monde mange à sa faim. « En réalité, on a toujours besoin de nous », dit la voix de Coluche (ou de l’imitateur de Coluche) tandis que l’arrivée d’une horde de loqueteux affamés prouve que le « monde d’avant » n’a pas vraiment disparu, contrairement à ce que les autres pubs essaient de nous faire croire.

 

Références :

La Reine des pommes, de Chester Himes, traduction de l’américain Minnie Danzas, révisée par C. Jase (Gallimard, collection « Folio policier », 5,90 euros). Dans le monde d’avant, ce petit chef-d’oeuvre du polar noir keubla[1] était publié en « Série noire » (1958), puis dans « Carré noir », dans la traduction pas révisée de Minnie Danzas. Je suppose que cette trad était dans la grande tradition des traductions vintage époque Marcel Duhamel, assez personnelle, pour ne pas dire fantaisiste ; ajoutons que le gonze avait été dans ses jeunes années patron d’hôtels parisiens puis résident du havre surréaliste du 54 rue du Château dont mon grand-père maternel Thirion avait été l’un des habitants, avant de bricoler dans le ciné (décorateur, figurant, il apparaît notamment dans deux films de Jean Renoir, dont l’excellent quoique « progressiste » Crime de monsieur Lange, 1936)et de devenir éditeur d’une revue de tourisme. Pas l’école de la rigueur et de la fidélité au texte d’origine, virgule comprise. C’est dans ses traductions ou celles de ses disciples, dont Minnie, non référencée par mon ami Wiki, que beaucoup de jeunes gens des années 1950 et 1960, dont François Truffaut, ont découvert Peter Cheyney, James Hadley Chase, Carter Brown — et surtout Chandler, Hammett ou Jim Thompson. D’où, le « monde d’après » advenu, la nécessité de faire appel à C.[2] Jase pour réviser. Pas encore relu, mais j’espère qu’il reste des traces des erreurs et charmantes errances de la trad d’origine. Certes, Himes n’est pas Poe et Minnie pas Baudelaire, mais tout ça était quand même bien délectable. Je suppose que ça le reste sous la férule de C. Jase.

While we’re on this, mon ami Wiki m’informe que Marcel Duhamel a publié son autobiographie sous le titre Raconte pas ta vie (Mercure de France, 1972, la même année où mon grand-père André Thirion a publié la sienne, Révolutionnaires sans révolution, chez Robert Laffont).



[1] Les autres « polars noirs » sont écrits par des Blancs. Pour les films noirs, ça dépend : des « blanquitos » la plupart du temps et parfois un Spike Lee.

[2] Charlie, Célestin, Caroline, Cécile, Christian, Christine ? Et pourquoi Jase, Jaz ou Jeez ?