POURQUOI ?
« Pourquoi a-elle attendu si longtemps » ai-je entendu une belle âme soupirer à propos du magnifique livre de Vanessa Springora ? La vraie question n’est pas là car V. (comme elle a choisi de se nommer, reprenant à son compte – l’initiale par laquelle M. Matzneff -appelons-le GM- la désignait dans ses écrits) a simplement attendu le temps de pouvoir écrire.
La vraie question serait : « pourquoi ont-ils attendu si longtemps ? Ils : les éditeurs, les religieux hantés par le vertige de la débauche, les apôtres de la « libération sexuelle – et jusqu’aux policiers et aux juges. Pourquoi alors tout était là, en pleine lumière – et depuis des années !- a-t-il fallu attendre qu’une femme courageuse dise les choses que beaucoup savaient?
A Paris, c’est un peu comme si pour se faire pardonner leur indifférence ou leur soutien quand GM pouvait nuire, tous ses complices actifs et passifs s’étaient entendus pour sonner l’hallali et lancer la curée sur un commencement de cadavre
« On dit qu’il ne faut pas frapper un homme à terre ; mais alors quand ? » le mot terrible (de Maurras ?) illustre bien la situation de GM.
Maintenant qu’il n’est plus qu’un vieillard égrotant et faible, tout le monde lâche courageusement M. Matzneff, devenu objet d’opprobre et de honte pour ceux-là même qui l’ont couvert, financé, adoré, subventionné, couronné du temps où, non content d’être un prédateur sexuel de mineurs garçons et filles, il s’en vantait ouvertement et, quelque part entre Mauriac et Montherlant, passait pour un catholique « sulfureux ». Il faut admettre pour un « paria », un « déclassé » il savait faire du réseau, à droite comme à gauche, recrutant tous azimuts ses hérauts, ses mécènes et ses VRP. Adoubé « grantécrivain » côté Nihil par Cioran et côté Nil par Mitterrand, il fallait Mme Bombardier, une vulgaire Québécoise, une mal-baisée sûrement, pour oser lui rentrer dans la tronche. Exhibant une missive d’estime présidentielle, il se débarrassait en un tournemain des peu curieux enquêteurs de la brigade des mineurs. D’un extrême l’autre (on retrouve d’ailleurs bien des noms communs avec les antisémites primaires ou secondaires cités par Mme Collet dans son remarquable petit ouvrage), tant de «gens-qui-comptent » ont été dans la combine, en toute connaissance de cause – et pendant si longtemps- qu’on ne sait ce qui de la honte, de la rage ou du fou rire l’emporte à les voir aujourd’hui jouer les vertueux. Gallimard annonce avec une audace inouïe qu’il cessera de publier un « journal » détaillant fièrement depuis des décennies le catalogue des délits sexuels d’un vieillard qui, même chargé au viagra et à la coke, ne doit plus être en état de déflorer artistement les délicieux culs impubères de garçons de onze ans, comme il s’en vantait encore il y a peu. La décision éthique de la célèbre maison de la rue GG lui coûtera peu car, signe que les lecteurs sont souvent plus perspicaces que les « influenceurs », ces saletés dont on ne voudrait pas comme torche-cul de peur d’attraper la gale, ne se vendaient presque plus. On est en droit d’espérer qu’aucune collection de type « Bouquins » ne s’avisera à l’avenir- sous couvert de la sacro-sainte liberté d’expression- de les rééditer, préfacées et annotées par un universitaire maurrassien. Comme je l’écrivais ici même il y a peu, il y a des « oubliés » qu’on est heureux de voir revenir à la vie ; en l’espèce, nos enfants et petits-enfants ne perdront rien à ignorer cet oubliable.
Si l’on voulait s’indigner, on dirait : « c’est alors messieurs, du temps de la puissance de l’ogre GM, qu’il fallait prendre cette décision – et transmettre à la justice tous les éléments qui auraient permis de le poursuivre pour les crimes commis et de l’empêcher de nuire à nouveau.
Pourquoi la police et la justice si ardentes aujourd’hui, ne se sont-elles pas déployées quand il était temps ? Même sans sombrer dans le complotisme politico-littéraire, c’est un autre mystère. Mais alors, nous dit-on, c’étaient « différent »- et M. Pivot, qu’on a connu plus avisé nous rappelle qu’en ce temps-là, la littérature était au-dessus de la morale… de bien grands mots pour de bien vilaines choses : les abus sexuels sur les mineurs étaient punis par le Code Pénal dans les lointaines années 1970 et 80 comme aujourd’hui. « Maladroit », présente comme excuse M.Beigbeider qui a contribué à couronner GM du Renaudot en 2013- l’Antiquité, il y a sept ans. Entre les repentants qui présentent de balbutiantes excuses et les non repentis qui prétextent « l’époque » – pas un pour maintenir ses positions d’alors, ni même pour rappeler que GM, pour infréquentable qu’il soit, a « du style » ; on serait presque tenté, par commisération, de commander un de ses livres chez son libraire – ou sur Amazon, qui continue à vendre (assez cher, j’ai regardé) le dernier tome du journal que GG le dégoûté à retardement ne diffuse plus. Bah : la vie est trop courte pour lire les livres majeurs qu’on n’a pas lus, relire ceux qui nous ont marqués ou, des nouveautés, lire ceux qu’on a envie de lire – je ne vais pas me tourner les sangs parce que je serai passé à côté de GM – comme de quelques autres, moins détestables certes, mais qui ne me tentent pas.
Il n’est pas impossible, comme il le prophétisait- qu’un jour peloter les petits garçons ou insérer un doigt dans le vagin des petites filles soit considéré comme un « initiation » au lieu d’un crime – je suis soulagé d’avance de ne pas avoir à vivre dans ces temps éclairés de triomphe de la « philopédie » où des citations de Matzneff remplaceront dans les manuels scolaires les Diderot, Voltaire et autres Rousseau.
Revenons à notre livre et ne le quittons plus
Le Consentement ne serait, nous susurre-t-on en provenance du tabernacle tenu par certains gardiens du temple littéraire, « qu’un document » et « pas vraiment de la littérature ».
Voire !
A supposer qu’un individu éclairé ait la définition de ce qu’est la littérature, qu’il soit assez charitable pour me la faire passer : plus de quarante après avoir publié mon premier livre (au siècle dernier, à l’époque où GM publiait Les moins de seize ans où il annonçait la couleur), je ne la connais toujours pas.
Cela, les gardiens (une gardienne en l’occurrence) le savent : la littérature c’est Baudelaire, Nabokov, Houellebecq. Rien à opposer aux deux premiers – quant au troisième qui a pour certains de ses livres exploré les sites du tourisme sexuel, j’ai mes réserves.
Ce que je crois, ce que ressens c’est que Mme Springora a écrit un beau livre, un livre fort où chaque mot sonne juste – n’est-ce pas assez proche de l’idée (infiniment subjective) qu’on peut se faire de la littérature ?
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Avec la même « matière », nous dit-on, que n’eût pas fait un « véritable écrivain » ? Qui prétend que le Consentement est un oeuvre comparable à Souvenirs de la Maison des morts ? Pas son auteure (autrice ? je ne sais plus) qui a pris le temps qu’elle pouvait pour écrire ce qu’elle a pu au mieux de ses aptitudes, au plus clair, au plus sobre ,en allant puiser au fond des couches de douleur enfouies en elle.
Dans mon ignorance crasse de la littérature (suis-je un écrivain, même ? il ne suffit pas de publier des livres pour en être un), au-delà de « l’affaire », du « scandale », j’ai été touché en profondeur par Le Consentement, un document, si l’on veut, comme il en est peu et qui démontre, à partir d’une catastrophe initiale, annonciatrice d’une vie naufragée de plus, les ressources d’une mystérieuse, d’une merveilleuse aptitude au bonheur. Souhaitons à son auteure/autrice santé, succès, joies et longue vie. Quant à GM et à ses sinistres poteaux, que le cul leur pèle et, comme disent les Ecossais, hope your next shit is a hedgehog – j’espère que ta prochaine merde sera un hérisson.
Références :
Le Consentement, de Vanessa Springora, éditions Grasset, 2020, 210 pages, 18 euros.
Insistons sur l’éditeur, qui persiste et signe son soutien à des femmes qui ont une paire d’ovaires bien accrochées. Le livre de V vient après le très beau et émouvant récit la Petite Fille sur la Banquise, d’Adélaïde Bon, publié il y a deux ans et réédité l’année dernière en Livre de Poche.
Un rappel : les terrifiantes et superbes cent pages de la Suspension, de Géraldine Collet (rue de l’Echiquier, 10 euros)