J’ai découvert Pierre Cleitman, « chercheur indépendant dans le XXe arrondissement », comme il aime à se présenter, en attendant mes linguine aux cèpes (pas les lasagnes, jamais les lasagnes !) chez mon ami Giacomo, restaurateur dans le coin du Xe arrondissement, dont je suis un des plus récents résidents (vingt-cinq ans seulement). Pour patienter, on a le choix entre regarder les courses de chevaux sur la chaîne Equidia ou parcourir l’un des quelques ouvrages littéraires alignés sous le comptoir : ainsi ai-je découvert L’amour platonique dans les trains, que je me suis promis de commander pour un ami dont l’amour platonique est la passion cachée. J’ai noté titre, auteur, nom d’éditeur et me suis rendu chez une de mes deux librairies chéries (digression : autant avoir deux femmes est peu recommandable et mauvais pour la santé, autant on peut avoir plusieurs amis, plusieurs librairies et plusieurs bistrots). Las ! la base de données de Corinne restait obstinément sourde à mon cri d’amour ! Désespéré, je me suis rendu sur un site de vente en ligne. Rien !
Retour chez Giacomo : « Ne t’en fais pas, Antonio, je vais le commander à Pietro, ton livre ! » (Giacomo ne veut ni que je lui donne mes livres, ni les commander chez une de nos libraires, il veut me les acheter à moi). Je passe une commande de deux exemplaires : le premier pour mon ami platonique à défaut d’être platonicien, le second pour moi car la lecture des premières pages de l’ouvrage m’a réjoui et laissé entrevoir des promesses : ainsi un joli mollet printanier nous suggère-t-il une fête des sens.
Les semaines passent, pas plus d’amour platonique que de baisse de la pollution à Paris Je traite Giacomo d’escroc (je le traite toujours d’escroc, à l’entrée et à la sortie) lorsque survient un sautillant et sexagénaire lutin : Giacomo délaisse une grande tablée (ça arrive) pour accomplir son devoir d’aubergiste : « Antonio, je te présente Pietro. » A défaut de l’amour platonique, en cours de réimpression m’informe-t-il, l’auteur m’offre un exemplaire d’un autre de ses ouvrages, Le sens de l’humour chez Descartes, suivi de deux conférences extravagantes : Quel avenir pour l’étonnement ? et Le yin et le yang dans les relations franco-allemandes.
Ayant conservé une terreur sacrée de mon année de cours de philo (terminale A4, lycée Pasteur de Neuilly, année scolaire 1972-73), j’associe le mot à l’interminable étude (un trimestre pour un chapitre) des Fondements de la métaphysique des Moeurs de Kant et au décorticage du mot « umsteigen » chez Heidegger ; des rencontres, voire des amitiés, avec des philosophes d’une rigueur moins germanique que celle de mon prof d’alors ne m’ont pas guéri de mon effroi adolescent. Autant dire que j’ai sauté sur l’occasion lorsque ce philosophe entré dans ma vie par la cuisine m’a invité à une conférence au thème alléchant : La place du mécontentement dans les énergies renouvelables. Ainsi, piloté et encadré par Giacomo et sa remarquable épouse Ada en ce dimanche après-midi pluvieux inaugurant notre mois de mars, me suis-je retrouvé dans le four à pain où Pierre Cleitman faisait dorer les miches de son jubilant esprit.
Comme dirait Lucchini, on sait vite qu’on est dans un spectacle de gauche : les hommes et les femmes de mon âge ont de longs cheveux gris et un air de contrariété qui ne trompe pas, les chaises et les bancs destinés à l’assistance sont aussi inconfortables que celle réservée au conférencier, malgré le chauffage électrique il règne dans l’air une certaine humidité. Et pourtant qu’il fait bon ! Semblant multiplier les coqs à l’âne, semant son exposé d’anecdotes délicieuses et de gags, qu’une préparation minutieuse fait paraitre improvisés, ce boulanger philosophe nous fait rire et nous fait cuire à son rythme. Entrés en quête du mécontentement, nous avons au fil de l’heure de cuisson traversé des états divers (sourire, hilarité, agacement occasionnel, trouble, etc.) et désormais informés (spoiler alert : n°1 le mécon) du nom de l’unité internationale de mesure du mécontentement, et de l’évolution de la composition du sirop de fraise croate, nous nous retrouvons stimulés, réveillés, contents. Imaginons une randonnée en forêt avec des inconnus : à la fin de la balade, ayant humé les mêmes odeurs, parcouru les mêmes sous-bois ; entrevu le même ciel à travers les mêmes feuillages, nous nous sourions et demandons seulement quand a lieu la prochaine promenade. A parcourir la réjouissante liste des titres « à paraître » de l’auteur, on est certain de n’être pas déçu du voyage, réchauffement climatique ou pas. Sera-ce Le sentiment d’autrui chez le Dodo, Comment la poussière a illuminé ma vie, Le plombier du Titanic, (spoiler alert n°2 : il était polonais), « La place du sourire en coin dans la formation de l’esprit de système ou Climatisation et pensée unique ? L’irrémédiable et ses dérivés sulfureux, peut-être ?
Références :
Ouvrage épuisé ; L’esprit du labyrinthe dans le cappuccino européen.
Disponibles aux dernières nouvelles :
L’amour platonique dans les trains (le volume contient la conférence sur La place du mécontentement dans les énergies renouvelables.
Le sens de l’humour chez Descartes
Les deux ouvrages à 12 euros pièce (réduction pour les commandes importantes)
Editions le Soliloque
5 impasse Rolleboise
75020 Paris
Ou passer commande chez Giacomo
8 rue du Château Landon 75010 PARIS
Librairies du quartier :
Litote en tête (rue Alexandre Parodi)
La librairie du Canal (rue Eugène Varlin)
Rien contre l’Invit’ à lire, rue du Château Landon à quelques mètres au-dessus de chez Giacomo, mais je n’ai jamais osé entrer.