Follohoueurs, follohoueuses, en vérité je vous le dis, que ça vous fasse plaisir ou non, c’est comme ça : avec la montée en puissance silencieuse du Front national,[1] il est inévitable que les castors fassent leur retour.
Qui sont les castors ? me demanderont les innocents.
C’est très simple : ce sont ceux, de droite ou de gauche, qui à chaque fois que le FN monte d’un cran, nous invitent à oublier nos différences d’opinions ou nos détestations personnelles et à « faire barrage ».
Sur la longue durée, on ne peut pas dire que les castors aient été très efficaces : en 2002, M. Jean-Marie Le Pen recueillait 16,86 % des voix au premier tour, déclenchant une sorte de panique à travers l’échiquier politique. En 2022, après vingt ans d’activité des castors, sa fille Marine en obtenait plus de 23 %, score qui dépassait les 40 % au deuxième tour. Rappelons que ce score historique, malgré un mode de scrutin défavorable, a été suivi de l’élection au Parlement de 89 députés frontistes
Comme depuis lors, le Front et sa cheffe n’ont à peu près qu’à la boucler pour monter dans les sondages, il est certain que, mettant en pause leur habitude de se déchirer entre eux, les castors de gauche et de droite vont se réactiver et nous proposer, une fois encore, de « faire barrage ». Pour vous éclairer, ci-dessous ma typologie impressionniste de la galaxie castorienne qui comprend deux nébuleuses : les castors de gauche et les castors de droite.
Les castors de gauche et de droite ne s’entendent à peu près sur rien sauf leur détestation commune du Front ; le problème est qu’ils détestent presque autant, si ce n’est plus, le président Macron qui pour son élection leur a forcé la main en les contraignant à voter pour lui, alors qu’ils n’en avaient aucune envie.
À propos de détestation, les castors de gauche et ceux de droite se détestent à l’intérieur de leurs camps respectifs peut-être avec plus d’intensité émotionnelle qu’ils ne détestent l’autre camp : qu’il s’agisse de rivalités de personnes ou de querelles idéologiques, ils rencontrent d’extraordinaires difficultés à se mettre d’accord sur le mode de construction du barrage.
À gauche, les socialistes se méfient des communistes qui les méprisent et se rebiffent devant la tendance hégémonique de LFI ; entre LFI et cocos, il existe des divergences importantes doublées d’insupportations réciproques ; entre écolo-féministes et islamo-gauchistes, les écolos, qui poussés par les vents mauvais du changement climatique devraient déjà être le premier parti de France, se débrouillent pour se déchirer en interne chaque fois qu’ils refont leur « unité ».
À droite, la « droite dure » accuse la « droite molle » ne pas s’assumer de droite et lui mijote un procès – celui d’être prête à pactiser avec Macron ; parallèlement, les modérés rétorquent avec bon sens aux « durs » qu’il est inutile de s’opposer au Front si l’on adopte ses thématiques, ses idées, son programme à peine ripoliné ; entre les deux vogue le peu ragoûtant M. Bertrand, opportuniste sans foi ni loi qui me donnerait envie d’aller à la pêche un dimanche d’élection – et la dernière fois que j’ai pêché c’était il y a soixante ans, j’en avais sept.
J’aimerais qu’un(e) candidat(e) de droite ou de gauche ou du centre me donne des arguments non castoriens de voter pour lui/elle mais j’y crois pas des masses. Comme croire au pire ne me procure aucune satisfaction, même morose, je sais d’avance que dans quatre ans (ou avant si ça se trouve) je me laisserai convaincre par un castor ou un autre – sauf si c’est M. Bertrand, auquel cas j’irai peut-être bien vérifier si mes talents de pêcheur ont subi une inexplicable amélioration (à la pétanque je ne suis pas pire qu’avant mon AVC), rejoignant de facto le vaste camp des foutistes, le premier parti de France, ceux qui pensent que tout ça c’est canailles et compagnie – et après tout, le Front ou autre chose ? qu’est-ce que ça changera vraiment ?
Je crains la victoire du Front car sans nécessairement mener au pire (la guerre civile toujours prête à se rallumer, j’aime pas, rien ne m’indique que sa victoire puisse porter autre chose que plus d’intolérance, de démagogie et d’incompétence dans mon pays et en Europe.
Si elle se produit (probable je ne sais pas, mais très possible), il y a aura une gueulante des castoriens qui se vilipenderont entre eux d’avoir même pas été foutus de fabriquer un barrage décent. Certains foutistes diront comme les Brexiters britanniques « mais on n’avait pas voulu ça ! »
Ce qui arrivera ? les « bavures policières » seront requalifiées « légitime défense » et leurs auteurs décorés, les impôts augmenteront pour ceux qui les paient déjà (les grandes fortunes qui ne les paient déjà pas continueront à ne pas les payer). Et après, comme chantait Brassens : « Chacun sa bonbonne et courage ! »
Oui, follohoueurs follohoueuses de mon coeur, comme vous le constatez, l’optimisme, la joie et la bonne humeur règnent.
[1] Ma fidèle Malcampo me rappelle que ce parti se dénomme désormais Rassemblement national, ce qui ne m’avait pas échappé mais ça doit être le « tradi » en moi – je continue à dire Front, car le Front c’est le Front, nom de nom !