GÉNÉROSITÉ

3 avril 2023

Dans son regard sur l’éternelle « affaire homme », le grand Tzvetan Todorov était doué au plus haut point du sens de la complexité et de la nuance, deux qualités qui l’éloignaient des plateaux télés où ne s’échangent pas des arguments, mais où s’assènent des « punch lines ». Lecteur et admirateur de Romain Gary, Tzvetan était l’ami de son neveu Paul Pavlowitch, qui avait servi à Gary de « faux nez » lorsqu’il avait créé Émile Ajar.

En lisant le dernier et magnifique livre de M. Pavlowitch, que je n’ai jamais rencontré et n’avais pas lu auparavant, j’ai mieux compris l’amitié de ces deux hommes.
Les quelque 500 pages de Tous immortels (je sais, c’est un peu effrayant) se lisent avec une émotion et une admiration croissantes.

C’est d’abord un vrai tour de force (littéraire, mais pas que) que de faire vivre les figures de « stars » comme Gary (en vrai, non pas son oncle, mais son cousin) et l’actrice Jean Seberg (À bout de souffle, entre autres), sans doute la femme que l’écrivain a le plus aimée, dans une intimité qui ne sombre jamais dans le voyeurisme. Comment rester profondément honnête et résolument pudique, comment dire ce qui fut comme cela fut sans tout dire ? À ces toujours redoutables questions, Tous immortels répond avec une parfaite élégance de style et de sentiments.

Le récit vaut peut-être encore plus de ce qu’il intègre ces deux figures pivots au sein d’une chronique familiale où ne sont pas moins importantes et attachantes les silhouettes de grands-mères nées à Marshalltown, Iowa, dans le Lot ou à Vilnius.

Au terme de cette plongée dans des temps oubliés, le mot qui me vient c’est « générosité » : comment qualifier autrement cette qualité d’âme de l’auteur, à qui son impossible et génial cousin a joué tous les tours de cochon imaginables, y compris une tentative de lui piquer sa jeune et jolie épouse, et qui pourtant persiste dans son admiration pour l’oeuvre comme dans son amour pour l’homme. Peut-être bien est-ce cela même qui l’attachait à Tzvetan, être rare chez qui la lucidité d’esprit et la générosité de coeur cohabitaient.

Références

Tous immortels, de Paul Pavlowitch, Buchet-Chastel, 480 pages,23,50 euros.

Pour Tzvetan, je renvoie une fois de plus à la collection de textes, préfaces et articles que j’ai eu l’honneur de compiler avec l’aide de ses enfants Léa et Sacha et que son ami André Comte-Sponville a généreusement préfacée : Lire et vivre, de Tzvetan Todorov, Robert Laffont/Versilio, 450 pages, 22 euros.

L’Affaire homme, de Romain Gary, Folio/Gallimard, 368 pages, 9,20 euros.

Pour Todorov comme pour Gary, nous avons la chance qu’un bon nombre de leurs oeuvres majeures soient disponibles dans des collections de poche. Renseignez-vous auprès de vos libraires.