Depuis plus de cinquante ans qu’il a publié son premier roman, Patrick Modiano a réussi ce miracle de rester le même sans jamais se répéter. Là où de réputés auteurs n’ayant pas toujours l’excuse d’être des vieillards couverts d’honneurs s’étalent, bavardent, semblent n’avoir jamais assez de pages pour exhiber leur génie, il est de plus en plus concis juste dans chaque détail, chaque phrase. Plus que jamais l’évocation de ses fantômes est au centre de son oeuvre et cette exploration personnelle réveille la nôtre de façon parfois fulgurante.
Il m’a fallu une semaine complète pour lire les quatre-vingt-seize pages de La Danseuse car je m’interrompais sans cesse pour en noter des passages : la beauté de ce petit récit me subjuguait, la soudaine brisure dans une phrase au moment où elle pourrait s’assoupir dans la somnolence d’un balancement élégant, un changement de temps qui génère plus d’incertitude, les oscillations imprévisibles entre un narrateur omniscient et un personnage narrateur qui voudrait tout « mettre au net » mais n’y parvient jamais.
À bientôt quatre-vingts ans (dans deux ans, si j’en crois mon ami Ouiqui), le grand Patrick n’a rien perdu de ses pouvoirs d’enchanteur. Et puis ce qu’il traque sur la mince crête entre rêve et réalité, ce ne sont pas seulement les fantômes rôdant à la lisière de sa vie, ce sont ceux qui hantent les nôtres.
Follohoueurs, follohoueuses de mon coeur, ne tardez pas à vous faire ce plaisir de le suivre dans la brume lumineuse des rues de Paris et jusqu’à Saint-Leu-la-Forêt via la gare du Nord à la recherche des ombres incertaines de la danseuse, de Boris Kniaseff, Marpressa Dawn, Hovine, Georges Starass et Olaf Barou.
Référence
La Danseuse, 112 pages dont 96 de texte, Gallimard, 2023, 16 euros.
Pour ceux qui en auraient raté, les autres livres de Modiano sont réédités en collection de poche, chez Folio-Gallimard.