FACE AU MIROIR

20 mars 2009

L’éditrice Viviane Hamy a édité ou réédité il y a une quinzaine d’années les œuvres d’un écrivain hongrois magnifique, Deszö Kosztolanyi, admiré entre autres par Sandor Marai, mais dont l’œuvre ne semble pas suivre le même chemin posthume. Cela nous engagerait dans des réflexions mélancoliques sur le temps comme Grand Rectificateur, car voici un auteur qui eut beaucoup de succès de son vivant (dans les années 20), et risque d’être englouti par l’oubli, de devenir un fantôme.
Ses nouvelles sont peuplées d’êtres qui sont peut-être, déjà, des fantômes : un poète devenu riche par accident, et qui cherche tous les expédients pour se débarrasser de cet argent ; un traducteur cleptomane qui dérobe même les bijoux et les fortunes des pages qui sont confiées à son art ; un baron président d’une association culturelle qui s’endort au début de chaque réunion, etc.
Dans les histoires de Kosztolanyi figure toujours un certain Kornél Esti, son « double goguenard et sans contraintes », écrivit la femme de l’écrivain. Esti intervient dans les histoires sous un nombre de formes : tantôt narrateur (tel le Marlowe de Joseph Conrad), tantôt interlocuteur, parfois héros lui-même, il est le personnage-pivot autour duquel l’histoire tourne et qui détermine son point de vue narratif particulier.
« Il connaissait merveilleusement et les hommes et la vie, la vie qui d’une manière ou d’une autre s’arrange toujours, à la seule condition qu’on ne s’en préoccupe pas. » Ce que dit Esti du Président endormi, on peut le dire de Kosztolanyi lui-même. Et quand Esti s’effondre, les yeux exorbités, devant un miroir, après avoir vainement tenté de quitter le couloir interminable d’un hôtel de province, on ressent que si c’en est fini du double, de sa liberté et de ses sarcasmes, la fin de son créateur est proche.