En relisant les pages de Stendhal décrivant le jeune Fabrice à la bataille de Waterloo, je ne découvre pas l’espèce de gentil niais ne voyant rien que mon souvenir, certes alimenté par bien des commentaires, m’avait conservé. Certes il ne sait pas que c’est la célèbre bataille de Waterloo et il n’en a pas de vue d’ensemble ; mais à la différence de nous qui en savons tout, il la vit de l’intérieur.
Pour l’évoquer, Stendhal se réfère notamment aux deux couleurs dominantes qui lui ont fourni le titre énigmatique de son deuxième roman, Le Rouge et le Noir, paru une dizaine d’années avant La Chartreuse.
Si les couleurs qui accompagnent Julien Sorel vers l’échafaud sont symboliques, celles qui frappent le regard de Fabrice Del Dongo sont le fruit de l’expérience directe : noire la terre, noire la boue, et noirs les éclats soulevés dans les sillons par les boulets ; rouges ces derniers (quoique Stendhal ne le précise pas), rouges les habits des dragons, rouge le sang des blessés, jusqu’à celui de ce cheval qui tente de se relever par-dessus ses propres entrailles ; rouge aussi le visage du maréchal Ney que Fabrice voit à distance sans le reconnaître.
Et pour finir ce justement célèbre passage, ces quelques mots qui condensent son impression générale et la nôtre : « il n’y comprenait rien du tout ».