LE MEILLEUR DES BOUGRES

26 janvier 2018

 

Il y a vingt ans, après un long accouchement intérieur, je mis en oeuvre la décision  (« idiote » selon la charmante dégère du groupe) de mettre fin à ma « carrière » dans l’édition. Quelques-uns de ceux que j’avais rencontrés me demandèrent si je voulais bien les accompagner. Nul ne me fut proche que Tzvetan Todorov, « paysan du Danube », comme il se qualifiait avec un humour  dont une majorité d’intellectuels français sont hélas démunis, ou bien « bougre », c’est-à-dire bulgare, comme je l’appelais tendrement surnommé, étant un peu bougre moi-même, Tzvetan fut pour moi un ami à la Tchekhov : un des rares aussi admirables par son oeuvre que par son être pour  son tempérament tendre, don exigence intellectuelle, sa tolérance, son amour de la vie, sa curiosité spontanée , sa simplicité – tous traits qui se retrouvent d’ailleurs dans  ses livres.  En décembre 2016, à la veille de mon départ pour un séjour de médecine ayurvédique en Inde, j’étais passé le voir  chez lui, près des arènes de Lutèce. Fatigué, il n’avait pu participer à la promotion d’un ouvrage où sa connaissance intime de la culture et de l’histoire russes s’exprimaient de façon admirable. Il n’avait plus  l’envie ou la force, m’expliqua-t-il, de se lancer dans ces longues randonnées intellectuelles qui exigent des années de lectures, de synthèse, de réflexion tranquille. Il souhait plutôt rassembler les nombreux textes courts (articles, préfaces, interventions dans des colloques), dits improprement « de circonstance » car si c’est la circonstance qui les provoque, ils émergent du plus profond de l’être, dans ce qui fait le fond de sa culture et de son caractère. Il s’employait à les organiser, une tâche à laquelle sur son lit d’hôpital il consacra ses dernières forces avec l’aide de Sacha et Léa, enfants aussi aimants qu’ils étaient aimés. Ainsi naquit le livre qui paraît dans quelques jours, un an presque jour pour jour après le décès de Tzvetan. Le philosophe André Comte Sponville,  proche entre les proches  et lecteur  attentif des livres de son ami, a bien voulu surmonter ses réticences d’humilité et introduire son ainé en prêtant plus que son nom  et quelques lignes  de convenance

Pour ceux qui le lisaient déjà comme pour ceux qui le prenaient pour un « maître penseur » universitaire indifférent aux labeurs et aux souffrances des hommes, voici l’occasion de faire connaissance avec le « meilleur des  Bougres » : un ami qui ne  les quittera plus et leur réchauffera l’âme aux jours de fraîche grisaille.

 

Références:

Tzvetan Todorov, Vivre et Lire, préface d’André Comte Sponville (Robert Laffont/Versilio, parution le  1er février 2018)

Du même,  Le Triomphe de l’artiste (Flammarion/Versilio, 2017)

Sans oublier ses nombreux ouvrages disponibles dans la collection Points Seuil,  et le volume Le siècle des totalitarismes (Robert Laffont/Bouquins, 2016)