LE FANTÔME DE NAVALNY

21 février 2024

Sans l’admirer, un ami est impressionné par la détermination glaciale de Poutine à se débarrasser d’un adversaire dangereux. Il y voit l’assurance sans complexes de l’autocrate, une continuation de cette grande tradition russe qui, de Pierre le Grand à Staline en passant par Lénine, consiste à pratiquer avec une égale placidité l’assassinat politique et le crime de masse.

Il me semble au contraire déceler une forme d’incertitude honteuse dans la « communication » de Poutine et de ses sbires au sujet d’Alexeï Navalny. Ayant d’abord prétendu l’ignorer comme « quantité négligeable » ne représentant que lui-même, ils l’ont accusé de délits imaginaires avant de tenter de l’empoisonner. Parce qu’il a dénoncé la corruption d’un homme et de son régime, ils ont mis en branle leur machine de propagande et les rouages éternels de la crainte et de la servilité afin de le condamner pour « extrémisme ». Parce qu’il n’était pas suffisant de l’emprisonner, ils l’ont déporté dans le goulag où il vient de trouver la mort. Pour un homme qui soi-disant ne représentait personne, ils ont réprimé brutalement tous ses soutiens à travers le pays, allant jusqu’à arrêter les citoyens russes qui voulaient simplement lui rendre hommage à Moscou. Le nom de Navalny n’a jamais été prononcé en public par Poutine, histoire de souligner par l’omission qu’il n’était pas grand-chose. Vivant, il n’a jamais reçu l’autorisation de voir des médecins choisis par lui. Mort, son corps est refusé à sa famille. Les grands assassins comme Hitler ou Staline n’avaient pas honte de leurs crimes et ne les cachaient pas, ils s’en vantaient même. Les voyous montés en graine comme Poutine sont des assassins honteux qui nient leurs crimes et les maquillent. Parions que la pseudo-enquête diligentée par Moscou « prouvera » bientôt, certificats médicaux à l’appui, que le courageux opposant a succombé à la mort subite du nourrisson,  une malformation cardiaque indécelable ou un coup de froid parce qu’il était sorti sans écharpe. Il faudra être acheté, aveugle, ou victime d’un torrent propagandiste pour croire à la pitoyable et tragique fable qu’ils vont nous concocter.

Dans certains films il arrive que le « bien » triomphe du « mal » et les « gentils » des « méchants » ; la vie n’est pas Hollywood et les fins y sont rarement roses. De plus, la « roue de l’info » tourne à pleine vitesse. Il est donc possible que le tsar au petit pied et ses cloportiques sbires réussissent à faire oublier au reste du monde et aux Russes eux-mêmes le sens des combats de l’avocat assassiné. Leurs simagrées prouvent au contraire leur crainte que, mort, il ne soit pour eux aussi embarrassant qu’il ne l’était vivant : le fantôme de Navalny n’est pas près de disparaître et, à défaut de hanter des consciences depuis longtemps anesthésiées par l’habitude du mensonge, des vices et des crimes, il pourrait se révéler une impressionnante présence post-mortem, une menace politique sérieuse pour un régime ayant perdu toute légitimité morale vis-à-vis de son propre peuple.