Un détail peut être décisif de bien des façons différentes – c’est l’élément d’une description physique qui définit un personnage, une particularité de langage dans un dialogue, une couleur, une odeur. Les plus efficaces ne sont pas nécessairement les plus évidents – chez un auteur aussi subtil que Tchékhov, par exemple, la capacité d’indifférence de Gourov, l’amant médiocre de « la Dame au petit chien », n’est pas tant marquée par ses discours que par un geste inoubliable – celui où, alors que sa maîtresse est plongée dans la confusion d’après l’amour, il mange placidement une pastèque.

Le détail décisif, c’est aussi ce qui donne à l’auteur accès à l’univers qu’il essaie de décrire. Ryszard Kapuscinski, pris dans le tourbillon du coup d’Etat de Mengistu en Ethiopie qui mit fin au règne de l’empereur Haile Selassie, comprit vite qu’il n’avait pas envie de raconter une énième prise de pouvoir par de jeunes officiers révoltés, idéalistes et dangereusement purs. Son sujet, c’était une évocation de la fin de cet empire millénaire. Il commença une course risquée à travers la ville pour retrouver d’anciens chambellans et courtisans qui se terraient et les faire parler. Mais même sous cet angle, ses notes ne débouchaient sur rien.

La clé, il la trouva quand lui revint, comme flottant sur une nappe de brume, un détail mineur : l’empereur, lui avait dit un de ses contacts à la cour, avait un petit chien japonais répondant au nom de Lulu. Par ce détail seul, le monde disparu s’ouvrit et Kapuscinski fut en mesure de pousser la porte d’un passé qu’il n’avait pas connu, et de faire résonner les voix fantomatiques de la cohorte de ceux qui avaient servi ce maître faible et fascinant. Sans le chien Lulu, « l’Empereur » de Kapuscinski n’aurait peut-être pas existé et, si son projet d’un Amin ne vit finalement pas le jour, c’est peut-être faute d’un détail semblable..

Références: Ryszard Kapuscinski, l'Empereur (à ma connaissance non disponible en français actuellement). On peut le lire en anglais sous le titre The Emperor.