Je commence souvent à écrire au milieu de la nuit, réveillé par une phrase qui me danse dans la tête, tambourinant si fort dans mon crâne qu’elle finit par me réveiller. Dans mon état comateux, je n’essaie pas de savoir ce qu’elle veut dire réellement. C’est une musique, une image, un nom, c’est un dialogue, une idée, un groupe de mots dont l’arrangement bizarre me séduit… Parfois, délicieusement, il s’agît de la réponse automatique à une question narrative que je me suis posée en m’endormant et dont la clarté, la simplicité m’enchantent. Comment n’y avais-je pas pensé ? D’une façon ou d’une autre, je n’essaie pas plus de « m’en souvenir » qu’on ne se souvient d’un rêve ; je la laisse où elle est, je me laisse bercer par sa musique, elle me communique une impression de certitude provisoire que je trouve profondément satisfaisante. Je ne la juge pas d’un point de vue critique – on écrit « la porte fermée », dit quelqu’un, « et on relit la porte ouverte ».
Les yeux encore collés, avec juste assez de lucidité pour essayer de ne pas réveiller ma femme, je cherche une paire de chaussettes (rien de pire que d’avoir froid aux pieds pour interrompre l’élan créatif) et je descends à mon bureau en essayant de ne pas me casser la gueule dans l’escalier.
Aragon prétend qu’en écrivant le début des Cloches de Bâle : « Cela ne fit rire personne quand Guy appela M. Romanet papa » – une phrase qui m’a toujours épaté par sa netteté – il n’avait pas la moindre idée de qui étaient Guy, son papa, et ce M. Romanet. Si non è vero… Et en tout cas, cela témoigne de cette confiance inébranlable, de cette foi si l’on veut, qui ne peut naître que dans les rêves.
Référence: Les Cloches de Bâle, d'Aragon (Folio/Gallimard)