On découvre dans le chapitre « Lectures » de son dernier livre le jeune Yu Hua grandissant sous la Révolution culturelle et, assoiffé de lecture, courant derrière chacun pour découvrir si, par extraordinaire, il y a chez eux autre chose que les quatre volumes jamais ouverts des Œuvres Choisies du président Mao Zedong ou son Petit livre rouge.
A force de tentatives toujours déçues (la plus comique étant celle où, le cœur battant, il croit mettre la main sur un livre à la couverture grise… pour découvrir qu’il s’agît de la poussière accumulée sur la sempiternelle couverture rouge), il finit par se plonger dans les œuvres de Mao – non pas le corps du texte, mais les notes de bas de page. C’est en effet dans les notes que se trouve tout ce qui manque à son univers : les histoires, les personnages, les intrigues…
Ainsi, à la lumière du soleil couchant, est-il souvent aperçu lisant, éveillant admiration et jalousie chez ses camarades, et l’espoir chez ses parents : n’a-t-il pas expédié son repas pour se plonger dans l’étude ?
J’ai grandi au fil des mêmes années que Yu Hua, dans une maison pleine de livres et où je n’avais qu’à tendre la main. Comment se fait-il que son expérience résonne en moi avec tant de force ? Parce que dans ma vie je me suis trouvé dans des lieux où il n’y avait, littéralement, qu’un livre : une brochure, un roman sentimental, un roman policier dont manquaient le début et la fin – et que je me suis jeté sur ces bribes avec une avidité d’affamé, comme si je n’avais lu, comme si toute l’expérience humaine recelée dans les mots se trouvait ramassée dans ces quelques pages.
La littérature n’est peut-être que cela : un manque.
Source : Yu Hua, la Chine en dix mots (Actes Sud).