« La mort, c’est la nuit fraîche ».
En lisant ce vers de Heine, l’écrivain chinois Yu Hua retrouve une sensation perdue : fils d’un chirurgien, il a passé son enfance en face d’une morgue, « pour ainsi dire au milieu des pleurs ». Par un été brûlant, il a fini par en franchir le seuil et, sans peur des esprits, par s’allonger sur un lit de ciment propre et frais, échangeant la lumière ardente du soleil contre celle de la lune.
Même si les pleurs des visiteurs, au cœur de la nuit, viennent parfois l’embarrasser et le chasser de ce repos, le voici désormais sous le signe de cette planète blanche – de cette « froideur » tchékhovienne par laquelle s’exprime le mieux l’étrangeté de notre condition. La douleur brûle mais pour en dire l’atteinte il faut la plonger « comme un peu de soleil dans l’eau froide ».
Yu Hua ne dit pas et je ne sais pas ce que Heine entendait en écrivant son vers (dont je ne connais pas l’original allemand et qui m’arrive donc retraduit du chinois…) mais dans ce voyage des sensations vers les mots, d’une langue à l’autre, malentendus compris, il croit retrouver l’essentiel de la littérature, cette joie qui nous étreint, et cette impression de fraternité, lorsqu’un autre exprime ce que nous étions seul à avoir ressenti – et que nous ne souvenions peut-être même pas avoir vécu.
Pour moi, j’ai découvert ce froid – ce froid de la nuit et de la mort – dans la cave de Guillaume, l’ancien fossoyeur de Fontvieille, dont j’ai fait la résidence de « l’Arabe ». Ces pierres tombales qu’il y entreposait, le froid humide qui y régnait, je les ai encore sur la peau, et quand j’écris c’est cela que je cherche – cela et rien d’autre.
Source : Yu Hua, la Chine en dix mots (Actes Sud).