La meilleure façon de ne pas abandonner la belle figure de Jeanne d’Arc à la clique lepéno-villiériste, c’est sûrement d’aller la chercher dans l’histoire, dans la littérature et dans les films qu’elle a inspirés. Quand j’entends les diatribes post-maurrassiennes sur la Nation, je sors mon Michelet, mon Duby, mon Pernoud, mon Péguy, mon Delteil, j’évoque les visages purs et tourmentés de Renée Falconetti (Dreyer), d’Ingrid Bergman (Victor Fleming) ou de Florence Delay (Bresson) — et même, pourquoi pas ? La silhouette de guerrière sexy de Milla Jovovich dans le film de Luc Besson.
Je viens seulement[1] de découvrir l’une des plus belles, des plus surprenantes, émouvantes, des plus justes, versions de Jeanne : celle mise en scène par Jacques Rivette et illuminée par la présence de la jeune Sandrine Bonnaire.
À première vue, le pitch fait peur : un cinéaste des plus « intellectuels » de la Nouvelle Vague tire deux films de près de trois heures de l’histoire de Jeanne d’Arc. Qu’est-ce qu’on va se faire tartir ! Erreur : il n’y a pas de longueurs dans Les Batailles ou dans Les Prisons, il n’y a que de la beauté, celle que nous réserve le cinéma des grands artistes quand ils touchent un grand sujet et, servis par de grands comédiens, l’abordent dans la plénitude de leurs moyens.
La Jeanne de Rivette et Bonnaire est bien la « pucelle » de la légende. À l’exception de Domrémy, nous la découvrons aux différentes étapes célèbres de son chemin de gloire et de croix : Vaucouleurs, Orléans, Reims, Compiègne et, finalement, Rouen. Loin des images d’Épinal, cette Jeanne est un personnage incarné ; une flamme d’exigence, une âme vibrant dans un corps, une chair frémissante de vie par tous les pores : une femme terriblement féminine malgré ses allures et ses costumes de garçon — femme qui ne jouit pas, mais qui pisse, qui gueule, qui prie et qui harangue, qui sait débattre et se battre, qui rit et qui pleure, a peur, espère, souffre, vit tout intensément. S’il est un film où l’on croit qu’il est possible d’aimer à en mourir, c’est bien celui-ci. Et nous qui le voyons et n’avons pas pour autant à en mourir, nous pouvons en recevoir la simple beauté et la laisser demeurer en nous comme ces pures joies qui nous réchauffent par les temps froids du coeur et de l’âme.
Référence
Jeanne la Pucelle, de Jacques Rivette, 1994. Peu de visages connus dans la distribution, à part celui de Sandrine Bonnaire, mais que des acteurs épatants : André Marcon, Jean-Louis Richard coscénariste de Truffaut, occasionnel et remarquable rôle secondaire dans trois de ses films, dont le Dernier Métro (où il campe un épatant salaud), Édith Scob, Marcel Bozonnet (je l’avais vu à la Comédie-Française, avec la superbe Ludmila Mikaël, dans la mise en scène de Bérénice par Klaus Michael Grüber ; trente-sept ans plus tard j’en pleure encore) — et puis des batailles, des vraies, des chevaux, des curés gentils ou traîtres. Belle édition en triple DVD chez Potemkine, avec un DVD entier de suppléments.
[1] Malcampo, elle, connaît depuis longtemps. Ai-je déjà signalé que, en littérature comme en cinéma, ma chère Malcampo connaissait tout sur tout (ou presque) ?