GRACE A DIEU ?

19 août 2020

Sans rien de politique ou de personnel, je ressentais une certaine méfiance à l’endroit de M. Christophe Girard, (« l’homme-culture » de la maire de Paris pendant vingt années de gestion Delanoë- Hidalgo), depuis qu’il s’était avéré qu’il était intervenu pour obtenir à l’infâme Matzneff le soutien financier de la Ville de Paris. « Un de plus ! », avais-je soupiré, «  qui dans la cohorte des hypocrites a passé ses turpitudes au pseudo sulfureux grantécrivain » [1] et « découvre aujourd’hui ses crimes » alors que ceux-ci étaient en détail relatés (et fièrement !) par l’intéressé dans une série d’ouvrages publiés – non sous le manteau dans un samizdat pédocriminel, mais chez Gallimard qui a si courageusement  lâché  ce sale type quand ses ventes – jamais très élevées –  tournaient à quelques dizaines d’exemplaires et que le magistère moral de M. Sollers ou l’adoubement des jurés du prix Renaudot  (2013, c’est si loin…) avaient cessé d’être suffisants pour le protéger. 

Là-dessus, quelques activistes s’arment de banderoles, forcent le quidam à la démission, et je m’interroge… pas plus qu’un autre je n’ai envie de hurler avec les loups mais la défense de l’intéressé, comme celle de Madame la Maire me semblent d’abord curieusement embarrassées – et curieusement virulente l’hostilité aux « néo-féministes » qui mènent la charge. Serait-ce qu’en accusant la mairie d’être au fil des ans devenue plus qu’un sanctuaire, un repaire pour la pédocriminalité chicos, elles ne délirent pas complètement, ces enragées modernes, filles ou petites filles des éternelles « salopes » ou « mal baisées » des combats féministes du siècle dernier ?

Or voici qu’aujourd’hui, de la presse étrangère (le New York Times, les filles, pas le crapoteux Sun de Murdoch), comme souvent, sortent des accusations suffisamment précises et crédibles pour que la presse française les reprenne et qu’une information judiciaire soit ouverte. Si l’on en croit M. Annis Hmaïd, un jeune Tunisien (pauvre Tunisie, où nos élites éclairées et libérées ont été se fournir impunément en chair fraîche de garçons pendant des années), M. l’ex-adjoint (mais toujours élu, quoique « en retrait ») n’aurait pas seulement été abusé intellectuellement par « Gaby le dégueulasse », il aurait été lui-même un prédateur sexuel. Son avocate écarte les déclarations d’un « individu » (un « individu », dans les faits divers, c’est en général le type qui a écrasé un gamin et pris la fuite à bord d’un véhicule) et M. Girard nie toute infraction.  Selon les déclarations, il nie l’existence d’une relation sexuelle ou déclare que celle-ci a été « consentie » (que vaut le consentement d’un « individu » tunisien de quinze ans ?). Dans les démentis féroces de l’intéressé et de sa défenseure, un argument m’a sauté aux yeux :  les faits (allégations de « l’individu ») seraient de toute façon « prescrits ».  M. Girard ne va pas, comme le cardinal Barbarin dans l’affaire du prêtre pédocriminel Preynat[2] à ajouter « grâce à Dieu » – mais on entend son chuchotement bruyant de soulagement.

Il nous reste à souhaiter que l’enquête en cours débouche sur une justice : soit les accusations sont infondées et M. Girard, innocenté, devra se contenter, comme tant d’autres, de vivre avec le déshonneur moral d’avoir « couvert » un mauvais écrivain doublé d’un criminel récidiviste et de lui avoir servi la soupe avec nos sous ; soit les accusations portées sont solides et il doit être jugé, puis, si reconnu coupable, condamné selon les termes de la loi.

Comme dans les affaires Ramadan et Darmanin, le peu de sympathie que l’on peut ressentir pour le bonhomme ne devrait pas entacher le principe de la présomption d’innocence – mais il faut bien avouer qu’avec son silencieux « grâce à Dieu » de la prescription M. Girard ne nous incline pas à la compréhension.  Par ailleurs il faudra bien un jour regarder de plus près ce qui s’est passé dans les arrière-cuisines des combats fin de XXe siècle pour la « libération sexuelle » et le mouvement LBGT.  On ne peut que se réjouir (moi, en tout cas !) de la liberté dont, après des décennies de silence, de honte et de souffrance, jouissent les homosexuels pour vivre leur sexualité sans terreur. Il faut bien reconnaître qu’au nom de cette lutte bien des confusions se sont installées et ont été entretenues par des cyniques à la Matzneff qui, toutes tendances politiques confondues, ont trop souvent pu faire appel à la complaisance d’une partie du « petit milieu parisien ».  De la même façon que les musulmans « pacifiques » (la majorité) et respectueux des lois républicaines doivent reconnaître qu’il existe au coeur de leur religion des sources ou des ambiguïtés visant à justifier l’intolérance, la violence sur les « mécréants » ou l’oppression des femmes, les homosexuels doivent reconnaître qu’au sein d’une petite minorité haut placée à droite comme à gauche, la pédocriminalité a été pratiquée, tolérée, encouragée, voire « glamourisée »

P.S. L’avocate de M. Girard, qui juge anormal et suspect que « l’individu » Hmaïd ait parlé aux médias avant de porter plainte, a dû trouver formidable la même démarche de la part de « La parole libérée », association rassemblant les victimes du père Preynat dont le film de François Ozon (voir ci-après) retrace le parcours. Il faut dire que dans certains milieux « autorisés » on s’autorise à penser que taper sur l’Eglise catholique est légitime alors que s’attaquer à des prédateurs ayant pignon (médiatico-littéraire, financier, politique) sur rue, c’est vilain et rétrograde.

Références :

  1. Ce n’est pas en jouant les « pères-la-vertu » cherchant la sympathie du mouvement « #Metoo » qu’on peut se dispenser de voir les derniers films de Polanski mais parce que, un peu à l’image de Woody Allen, ce cinéaste qui fut audacieux et créatif vieillit mal et devient conventionnel et chiant.  C’est tout le contraire de Costa Gavras – et pas seulement parce qu’il s’est rarement trompé de combat : voici un homme chez qui l’indignation – source de tant de ses films- n’a jamais entravé le talent.  On regarde (ou revoit) son récent Amen avec la même émotion que ses classiques Z ou l’Aveu. Je suis surpris de découvrir la même vertu chez François Ozon, que je prenais pour un cinéaste propret vaguement à la mode et dont je viens seulement de voir l’excellent et poignant Grâce à Dieu. Pas si fréquent de découvrir une oeuvre d’intervention qui n’est pas phagocytée par sa « juste cause » indignée. Indigné, Ozon l’est certainement mais il n’en oublie jamais de raconter une histoire – ou plutôt des histoires car il a l’audace et le talent de tisser les fils de destins différents réunis dans le combat contre la chaîne de complicités actives ou silencieuses, qui a permis à l’institution catholique de se protéger contre la vérité des crimes pédophiles commis en son sein pendant des décennies. Son impossible façon de faire me rappelle le génial « Fine Balance » (« L’équilibre du mode en français) dont j’ai déjà dû parler ici et témoigne d’une liberté créative rare et précieuse.
  2. A propos du « consentement » des mineurs, il n’est jamais trop tard pour acheter (et lire) le superbe livre de Vanessa Springora, que j’ai souvent mentionné ici. Le consentement (Grasset, 216 pages, 18 euros)

 



[1] C’est curieux, plus personne ne se présente pour vanter son style…

[2] Cinq ans de prison ferme