FRANÇAIS COMME LANGUE ETRANGERE
L’un des écrivains de langue française les plus admirables nés au cours des vingt dernières années est un ancien journaliste sportif, spécialiste notamment du cyclisme (ce qui le relie à mon parrain Antoine Blondin, mais c’est une autre histoire), qui parsème ses récits de métaphores empruntées au monde des sports. Jean Hatzfeld nous fait séjourner « face à l’extrême » du génocide rwandais, nous laissant en conversation avec ces survivants, victimes ou bourreaux, d’une histoire qui n’a pas fini de nous hanter. Dans cette œuvre de mémoire, on entend une langue française colorée, puissante et qui surprendra les pratiquants ordinaires du « français de France » (mais moins ceux qui lisent les Kourouma et autres Mabanckou). J’en relève quelques exemples, dans le seul premier témoignage du volume « Dans le nu de la vie ». « Ma mémoire est trop préoccupée par ce grand nombre de morts », dit le petit Cassius, « elle n’est plus agile avec les chiffres. » Puis, un peu plus loin : « Les gens qui ne coulaient pas de leur sang coulaient du sang des autres. » Sur sa vie d’aujourd’hui : « Je croise seulement une petite crainte. (…) C’est une pénible inquiétude qui m’égare maintenant. (…) Je voudrais éloigner mes pensées de leur triste destin. »La terreur et la compassion qui s’emparent de nous, ici et à chaque page de ces livres, n’est pas étrangère à la musique de cette langue parfaitement limpide, parlant d’avoisinants (pour voisins), de nouvelles étourdissantes ou tourmentantes, et qui pourrait relever de la pratique du « mot pour un autre » chère à Jean Tardieu. Mais le poète est ici le peuple lui-même et son chant triste, « abattu par la vie », s’élève à même la mémoire toute proche des morts.Références: la trilogie rwandaise de Jean Hatzfeld ("Dans le nu de la vie", "Une saison de machettes", "La stratégie des antilopes", éditions du Seuil).