Eloge de l’indifférence

17 septembre 2010

Selon la morale sociale en vigueur, entretenue par de nombreux reportages réalisés en tous pays et sur tous les sujets, depuis le manque d’eau en Afrique jusqu’aux malheureux mourant de froid au seuil de nos portes, l’indifférence serait le mal qui nous tue. Notre égoïsme, l’œil fixé sur le compte d’épargne, nous séparerait de l’établissement de la bonté sur terre et du règlement de tous les problèmes, des épidémies, de la faim dans le monde et de la pauvreté. Je prétends que tous ces donneurs de leçons, ces ambassadeurs du bien participent au mal même qu’ils dénoncent et que notre indifférence, que dis-je, notre méfiance fondamentale, sont un retrait que notre instinct impose, guidé par le bon sens. Derrière ces admonestations permanentes se cache une terrifiante mauvaise foi, ou bien une prétention absurde et dangereuse. Nous le savons bien, nous, que nous pouvons faire le bien que par miracle ou, pour ainsi dire, par erreur, et que la seule bonté qui compte est celle qui, comme disait Vassili Grossman, est faite en privé, sans témoin, j’allais presque dire avec honte, ou en tout cas une pudeur extrême. Mais nos compassionnels professionnels ont le bien spectaculaire, ils veulent que ça se sache et qu’on en parle, et que leurs causes passent en direct.. Comme disaient les kidnappeurs du Tchad, "on ne peut pas avoir tort, puisqu'on voulait sauver des enfants". C’est une prétention de plus de l’époque que de nous faire croire qu’il y a mieux, en général, à faire que de donner la pièce au clochard à la sortie de la messe. (Les mêmes apôtres voudraient qu’en plus nous lui demandions, à cet homme peut-être plus heureux que nous, d’en faire bon usage, c'est-à-dire de ne pas le boire. Tout au moins ce don, fait de façon indifférent, libère de sa fin celui qui en est l’objet – qu’il boive son kil de rouge, si ça lui plaît – alors que nous nous gargarisons du sérieux de notre humanitaire – c’est qu’on ne veut pas que ça se perde !)
L’indifférence à toutes ces images, à tous ces prêches, à tous ces courriers glissés dans la boîte aux lettres est une vertu à cultiver. Elle ne nous ferme pas plus le cœur qu’autre chose, et en tout cas certainement pas plus que son contraire, la vaine larmoyance du journal de 20 heures dont l'aboutissement porte le joli nom de "bombes humanitaires". Quant à aider l’autre, ce compagnon secret que la vie nous fera rencontrer et à qui nous tendrons la main, peut-être, c’est une affaire autrement plus sérieuse. Nous ne savons pas plus si nous saurons saisir l’occasion que nous ne savons si nous parlerions sous la torture.