Je poursuis les étapes principales du parcours scolaire qui m’a préparé au confinement actuel.
Après le séjour hospitalier parisien, qui m’a ouvert les yeux et le coeur sur la condition du soignant moderne, ma deuxième école s’est située en Inde, à l’hôpital de médecine ayurvédique AVP de Navakkarai, dans la banlieue de Coimbatore, capitale du Tamil Nadu, pour les amateurs de géographie sous continentale.
Sans revenir sur le détail du traitement[1], je signale aux néophytes que la première étape du « grand traitement » impose une série de contraintes pendant quinze jours : interdiction de se couper les ongles ou les cheveux et surtout confinement dans la chambre ou, en tout cas, à l’intérieur de l’hôpital. Finies, les balades dans le parc ou la sortie sur le toit pour admirer le coucher du soleil.
Qu’est-ce que j’ai fait les premiers jours ? J’ai essayé de m’enfuir : vivre sans ma promenade du matin, rater au crépuscule un de ces magnifiques concertos pour soleil, nuages et montagnes ? Pas question. Et puis un des médecins m’a aidé à comprendre que cette contrainte ne prenait son sens que si je la vivais non comme une mise au cachot mais à la manière d’une obligation intérieure. Son motif strictement médical me semblait futile : même avec des défenses immunitaires légèrement affaiblies par le traitement, étais- je en danger d’infection parce que je déambulais vingt minutes à six heures du matin au milieu des cocotiers, des manguiers, des papayers ? Heureusement j’ai écouté ma fatigue[2] qui m’a aidé à découvrir le deuxième volet – et le plus important- de l’injonction : ne pas sortir c’est rentrer en soi. S’ennuyer c’est renouveler sa créativité, voire découvrir un continent que nous n’avons pas l’habitude d’explorer : le rien. Au bout de quelques jours, je n’avais plus besoin de consulter mon portable toutes les trente secondes pour être sûr que j’existais, d’enchaîner les DVD sur mon ordinateur ou de compulser frénétiquement les douze gros livres que j’avais entassés au fond de la valise de peur de manquer.
J’ai retrouvé la mémoire de cette expérience dès les premières heures du confinement Covid (appelons-le CoCo)
Jour 1, une obsession : sortir. Tous les prétextes sont bons, une course à faire, « l’exercice physique » dans un rayon de 500 m. il faut qu’à mon deuxième passage Carole, ma copine du « Bistrot du Canal » dont la partie tabac/loto (produits de première nécessité est encore ouverte, me signale que je n’arrête pas, pour que je m’en rende compte : concentré sur l’attestation magique et ses photocopies, j’ai négligé de me souvenir que tout ça avait un sens, pour moi et pour les autres.
De plus je n’ai pas l’excuse de l’exiguïté : non seulement c’est vaste chez nous – ce qui réserve à chacun « son » espace »- mais en bas de notre immeuble il y a une grande cour plantée : aux heures calmes (presque toutes) on peut prendre l’air et maintenir sa condition physique en limitant le contact avec les voisins à un salut de loin ou trente secondes de conversation (avec distance de sécurité). Le reste de la journée : préparer ou aider à préparer les repas, charger ou vider la machine à laver la vaisselle (le vidage est une mes mes activités méditatives favorites), faire son lit (rien de plus tristounet que de se coucher le soir dans un lit pas fait), se laver, lire, méditer…un bon film… messages ou coups de fil aux amis, quelques courriels…et puis rien, le bon vieux et magique rien dans lequel il est délicieux de se baigner !
Facile ? Soyons honnêtes : pas tant que ça pour ceux qui ont les enfants à la maison, le télétravail plus les courses et toutes les tâches domestiques. Même pour les autres – à supposer qu’ils aient les sous pour tenir le coup…- c’est à suivre…Il est vrai que ça fait à peine deux semaines, et on trouve plus ou moins facilement ce dont on a besoin et envie pour se nourrir. On verra dans quinze jours, dans un mois – et déjà ces vacances scolaires à la maison où il a fallu renoncer à tous les plans d’évasion au soleil, à la neige, à la campagne ou en Bretagne (sauf si on y habite et s’y trouve confiné sur un rocher à quelques mètres du grand large).
J’espère néanmoins qu’on va en profiter. Beaucoup d’entre nous sont comme des terres agricoles qui ont travaillé sans relâche pour « produire » et « performer » depuis des années : quelques semaines de mise en jachère ne nous feront pas de mal.
Allez les filles, c’est pas tout ça : j’ai du taf, moi !
Stay healthy, stay inside, and stay safe: ze virus ize mébi onne ze dore or onne ze deurti tébeule, beute love ize inne zi air
P.S. Juni chanje kwai le[3], comme in dit à Wuhan : zappy zanniversaires aux confinés du beurday de la quinzaine : Zoé (ma petite fille, 5), Bruno (mon vieux con de vieux pote, 82), Nastasia (25[4]), ma gouroute Edith (-8 ans[5]) et bienvenue sur cette putain de terre à Romy Palmero[6] !
PPS en live : Je vois une de mes voisines de l’immeuble d’en face qui fait de la gym à son balcon et elle fait pas semblant, ça envoie du lourd.
Références
Manu Dibango est mort du Covid 19, à 86 ans. J’ai pas connu « papy Manu » – l’ai juste aperçu dans un avion une fois et j’ai pas osé faire le fan, mais je suppose qu’il aimerait mieux qu’on écoute sa musique et qu’on danse plutôt qu’on pleure… je pense à tous ceux qui meurent d’autre chose et dont on parle à peine. Pour les autres vieux comme moi et plus, restez en vie, les papys, les mamies, vos petits-enfants vous attendent
Ma lecture de confinement : les Mémoires d’Outre-Tombe, pas toujours joyeux (quoique..) ni « progressiste » mais putain con, merde, ce con d’enculé d’aristo breton savait écrire un de ces putain de français… et ça donne du temps de distraction avant d’attaquer Saint Simon.
[1] Promo gratuite : ce thème est développé dans l’excellent ouvrage Partie Gratuite (Robert Laffont, 2018, 20 EUROS seulement pour 400 pages), toujours disponible en ligne sur les sites de vente indiqués précédemment, et bientôt à nouveau en librairie sur commande
[2] Citerai-je jamais assez le déjà légendaire et irremplaçable ouvrage de mon ami et frère Léonard Anthony, Fatigue (Flammarion/Versilio, 18 euros)
[3] Traduction gratuite : joyeux anniversaire en mandarin.
[4] Promo gratuite : Nastasia est la fille de mes amis Jeremy et Alexandra, qui tiennent dans un site sublime le gîte des Fosses aux Loups à Colognac, près de St Hippolyte du Fort, au coeur des Cévennes. Actuellement fermé, comme tout le reste mais à recommander quand les balades dans le coin seront à nouveau possibles : c’est rustique, chaleureux et ce couple anglo-serbe fait une admirable paire de Cévenols.
[5] Prononcer tuit ans
[6] Promo gratuite : Romy est la fille de Yohann et Fanny, qui tiennent le restaurant l’Ami provençal sur la place de l’Eglise à Fontvieille, établissement actuellement fermé pour diverses raisons mais recommandé à tous dès sa réouverture pour qualité des produits, de la cuisine (Yoann) et gracieuseté de l’accueil (Fanny).