Francine Prose (ce n’est pas un pseudonyme) raconte dans un ouvrage aussi documenté qu’amusant (« Reading like a writer ») l’anecdote suivante : la scène est dans un séminaire de développement personnel. Une atmosphère électrique règne depuis qu’un des participants, invité à raconter une histoire personnelle, s’est lancé dans une série de récits pornographiques mettant en scène sa femme, dans des situations humiliantes.
C’est au tour d’une femme de prendre la parole. Elle a perdu une jambe – et entreprend de raconter dans quelles circonstances. Cela se passe dans son enfance, et au départ elle est victime d’une simple morsure de chat. Personne ne s’en inquiète. Elle vit dans un foyer troublé, où les relations dégradées entre ses parents prennent n’importe quel prétexte pour exploser. Entre son père, dévoreur de steaks tartares, et sa mère, stricte végétarienne, les repas sont le cadre régulier de bagarres absurdes. Un soir, le père se met à se plaindre de l’odeur repoussante du plat de tofu que sa femme s’est cuisiné ; mais il se trompe sur l’origine de l’odeur : c’est la jambe de la petite fille, où la gangrène s’est installée.
Son effet obtenu, devant l’assistance médusée, la femme marque une pause avant d’avouer que son histoire est intégralement inventée. Pas une personne dans la salle n’en a pourtant douté (on ne saurait peut-être en dire autant des lecteurs de ce billet !) pour une raison simple : le tofu. Le « détail » du couple carnivore/végétarien sonne vrai, banalement vrai. Et il infecte le reste de cette histoire, par ailleurs assez invraisemblable.
On ne sait si son héroïne a usé de son talent pour réorienter sa carrière vers la fiction. Mais c’est sans conteste d’une qualité littéraire qu’elle a usé pour clouer le bec à un macho.