Puisque je vais mourir,
Seul ou avec tout le monde –
Ça n’a pas encore été annoncé sur les ondes,
Je vais exprimer mes dernières volontés.
Y aura-t-il même un vivant dans un an pour les lire ?
Si oui : au moins de moi restera un sourire.
Si non : un coup de plus j’aurai écrit pour ne rien dire.
Avant de mourir je veux
Faire l’amour dans l’eau d’une mer chaude
Passer la nuit avec deux des plus belles Claude
des Mémoires d’outre-tombe achever la lecture
Afin au ciel d’y entretenir leur auteur
de quelques longueurs que j’y trouvai
et qui eussent mérité de notables coupures
Egalement je veux apprendre le chinois
le finnois, le hongrois,
le vieil anglois
Naviguer je veux aussi au noroit
au suroit,
et courir encore sur le sable et par les bois.
Je veux – las, le temps m’est horriblement compté ! –
Aller au sommet du Mont Blanc
Traverser un ou deux océans
M’agenouiller tel un suppliant
Au pied des géants
De l’île de Pâques
Revoir Olympie, Delphes, Angkor, Cuzco, Karnak,
Lieux dont la force d’âme autrefois m’étreignit
Mais dont la magie s’est enfuie
Les temples de Kyoto, et leurs cerisiers blancs
Les verrai-je une fois au printemps ?
La madone del Parto, de son manteau les pans
S’ouvriront-ils pour moi en un dernier tableau ?
Les fresques de Piero, de Giotto, Masaccio,
Les austères cellules où peignit Angelico,
Mes yeux pourront-ils encor’ en festoyer
A l’heure du couchant ?
Et les soeurs provençales ? Cluny, Fontenay, Montmajour, Fontevrault ?
Me sera-t-il donné à nouveau de m’y recueillir les yeux clos ?
ou dans cette modeste chapelle d’une campagne isolée,
moi sans Dieu, de prier ?
Et puis si j’ai le temps – soyons un peu sérieux ! – je veux revoir une dernière fois
Tous ces longs films suédois
Qui donnaient envie de mourir
Quand la vie était une valeur sûre
Chanter les solos de Parker
Et rire avec Buster,
Avec Curly, Larry et Moe,
Avec Fields et Charlot,
Sans oublier Toto,
Et puis les Marx Brothers
Groucho, Harpo, Chico,
De Karl les cousins autrement rigolos.
Une dernière chose avant de vous quitter,
Vous que j’ai tant aimés
Et vous aussi que je détestais
Ou dont je me foutais
Jusqu’à mon dernier souffle, je voudrais
Mon amour ma chérie aux doux bras
Que tu me tiennes contre toi.