DERNIERES PENSEES D’UN CORONAVIRÉ

16 mars 2020

Puisque je vais mourir,

Seul ou avec tout le monde –

Ça n’a pas encore été annoncé sur les ondes,

Je vais exprimer mes dernières volontés.

Y aura-t-il même un vivant dans un an pour les lire ?

Si oui : au moins de moi restera un sourire.

Si non : un coup de plus j’aurai écrit pour ne rien dire.

Avant de mourir je veux

Faire l’amour dans l’eau d’une mer chaude

Passer la nuit avec deux des plus belles Claude

des Mémoires d’outre-tombe achever la lecture

Afin au ciel d’y entretenir leur auteur

de quelques longueurs que j’y trouvai

et qui eussent mérité de notables coupures

Egalement je veux apprendre le chinois

le finnois, le hongrois,

le vieil anglois

Naviguer je veux aussi au noroit

au suroit,

et courir encore sur le sable et par les bois.

Je veux –  las, le temps m’est horriblement compté ! –

Aller au sommet du Mont Blanc

Traverser un ou deux océans

 M’agenouiller tel un suppliant

Au pied des géants

De l’île de Pâques

Revoir Olympie, Delphes, Angkor, Cuzco, Karnak,

Lieux dont la force d’âme autrefois m’étreignit

Mais dont la magie s’est enfuie

Les temples de Kyoto, et leurs cerisiers blancs

Les verrai-je une fois au printemps ?

La madone del Parto, de son manteau les pans

S’ouvriront-ils pour moi en un dernier tableau ?

Les fresques de Piero, de Giotto, Masaccio,

Les austères cellules où peignit Angelico,

Mes yeux pourront-ils encor’ en festoyer

A l’heure du couchant ?

 

Et les soeurs provençales ? Cluny, Fontenay, Montmajour, Fontevrault ?

Me sera-t-il donné à nouveau de m’y recueillir les yeux clos ?

ou dans cette modeste chapelle d’une campagne isolée,

moi sans Dieu, de prier ?

 

 

Et puis si j’ai le temps – soyons un peu sérieux ! – je veux revoir une dernière fois

Tous ces longs films suédois

Qui donnaient envie de mourir

Quand la vie était une valeur sûre

Chanter les solos de Parker

Et rire avec Buster,

Avec Curly, Larry et Moe,

Avec Fields et Charlot,

Sans oublier Toto,

Et puis les Marx Brothers

Groucho, Harpo, Chico,

De Karl les cousins autrement rigolos.

 

Une dernière chose avant de vous quitter,

Vous que j’ai tant aimés

Et vous aussi que je détestais

Ou dont je me foutais

Jusqu’à mon dernier souffle, je voudrais

Mon amour ma chérie aux doux bras

Que tu me tiennes contre toi.