DEDICACE

6 décembre 2010

Quand j’avais quinze ans, mon grand-père, le surréaliste André Thirion, publia le livre Révolutionnaires sans révolution qui, presque quarante ans plus tard, demeure l’un des témoignages majeurs pour comprendre l’histoire du surréalisme. Si je dois être reconnaissant d’une chose à Gérard Guégan, c’est de l’avoir fait rééditer, il y a quelques années. Comme répondait un éditeur américain à la question : « Qu’est-ce qu’un classique ? » « A book that remains in print » – un livre qu’on continue à réimprimer…

Sur mon exemplaire figure la dédicace suivante : « Il est dans l’ordre des choses qu’une ou deux générations d’être humains soient en position de croire qu’ils remplissent, enfin, le tonneau des Danaïdes. Je souhaite, Antoine, que tu sois de ceux-là et que cette dédicace te porte, néanmoins, à ne jamais négliger les Danaïdes pour le tonneau. »

Si une dédicace m’a accompagnée au cours de ma vie, c’est bien celle-là : compagnon de route du communisme, exclu pour déviationnisme gauchiste, socialiste révolutionnaire, résistant, gaulliste abandonné, mon grand-père s’y connaissait en Danaïdes et en tonneaux.

J’ai relu ces deux phrases à différentes époques de ma vie et j’y ai décelé, selon les caprices de mon humeur et de ma vie, bien des nuances – réminiscences d’une jeunesse exaltée, déceptions anticipées, et même les échos d’une lecture sérieuse de Marx (je possède son exemplaire complètement annoté du Capital). Je n’en épuise pourtant pas le mystère, et ne cesse de les sonder, ici « l’ordre des choses », là « une ou deux générations ».

Le plus étrange est de penser que s’il y mit quelque soin, mon grand-père prit moins de temps à écrire ces quelques lignes qu’il ne m’en fallut pour les lire et les relire. Elles n’en exercent pas moins sur moi un pouvoir mystérieux et durable.

Source : Révolutionnaires sans révolution, collection Babel, Actes-Sud.