Après mûre réflexion j’ai décidé de réviser ma biographie selon les principes créatifs suivis par M. George Santos, un élu républicain de l’État de New York dont une enquête vient de révéler qu’il avait joyeusement pratiqué la « vérité du dimanche » chère à feu Yvan Audouard, mon père : M. Santos se disait descendant de juifs déportés par les nazis, ses grands-parents étaient en réalité nés au Brésil où quelques nazis sont bien arrivés, mais après la guerre ; se disant diplômé d’une université qui n’a aucun souvenir de son passage, ni aucune trace dans ses registres, M. Santos a également enrichi son profil d’ « immigré qui illustre le rêve américain » en prétendant avoir travaillé pour deux banques qui ne retrouvent pas trace de son nom dans leurs livres de comptes. Passons sur quelques zones d’ombre de sa vie privée et de ses finances, actuellement sous investigation par la justice ; lorsque les premières informations sont sorties sur son inventivité biographique, M. Santos a commencé, selon une tactique éprouvée par M. Trump et la grande majorité des athlètes dopés pris la main dans le sac : il a nié et accusé ses accusateurs de mensonge. Ayant peu à peu dû concéder qu’en effet il en avait un peu rajouté dans son curriculum, il ne voit pas de raison de démissionner de la Chambre des représentants où il vient d’être élu un peu à la surprise générale. Quoi ? mentir à des millions d’électeurs, où est le problème ? Il faut être un démocrate de mauvaise foi pour prétendre qu’il y a une sérieuse question d’éthique dans cette élection. Côté républicain, certains en parlent et les chefs se taisent courageusement. Il y a donc fort à parier que M. Santos fera partie de la majorité à la Chambre qui votera les projets républicains de suppression de l’impôt sur les sociétés et de coupes franches dans les aides sociales aux plus défavorisés.
De mon côté, je trouve une belle inspiration dans cet exemple et voici, chers follohoueurs chères follohoueuses, en exclusivité, quelques points clés de ma biographie que vous ne trouverez pas (pas encore) sur ma page Wikipédia. Né en 1956 à Paris, j’ai grandi dans un arrondissement périphérique de la capitale [le XVIe], puis une de ses banlieues pauvres [Neuilly-sur-Seine], juste à côté de Levallois dont le maire a longtemps été communiste et qui était en effet une commune démunie. Champion de France d’escrime catégorie minimes en 1966 [participant, j’ai été éliminé au premier tour], j’ai par conviction politique et fidélité à mes parents et grands-parents résistants refusé de participer aux JO de Munich en 1972, année où j’ai obtenu le premier prix au concours général de français [j’ai concouru en histoire, non en français, et n’ai obtenu aucune récompense] ; l’année suivante j’ai obtenu mon baccalauréat (A4) avec mention très bien [assez bien] ; pour gagner ma vie et par solidarité avec le prolétariat, j’ai travaillé à la chaîne dans une coopérative agricole [un mois de job d’été] avant de refuser d’entrer à Sciences Po, toujours pour raisons politiques ; j’ai préféré étudier l’économie politique à Nanterre en suivant les cours de marxistes grecs ; l’année suivante, à l’insistance de Sciences Po dont la direction m’appelait chaque jour pour me supplier [j’ai passé un examen d’entrée et je suis passé ras des fesses, avec 10 de moyenne], j’ai fini par accepter de rejoindre la rue Saint-Guillaume ; je suis sorti premier de l’IEP en 1977 [lauréat, j’étais bien parmi les premiers, mais certainement pas le premier], année où j’ai publié mon premier roman, Marie en quelques mots, qui a obtenu le prix Goncourt des lycéens [n’existait pas à l’époque] ; ont suivi deux autres romans, Abeilles, vous avez changé de maître m’a valu le Goncourt et le Renaudot, que j’ai refusés pour raisons politiques. Admissible à l’ENA en 1978, j’ai sabordé mon grand oral en traitant les membres du jury de fascistes, de laquais à la solde du grand capital, de fifres, de gredins et de paltoquets. Au cours d’un voyage au Liban, j’ai pris l’initiative des premières tentatives de rapprochement entre Israël et la Palestine [au cours de mes trois mois de séjour à Beyrouth, j’ai rencontré un Palestinien et j’ai vu passer les Mirage israéliens au-dessus du terrain où je prenais des cours de conduite auto].
La politique m’ayant déçu, j’ai choisi l’édition : à vingt-trois ans, je dirigeais déjà une maison [j’étais correcteur], à vingt-six je refusais pour raisons politiques la direction éditoriale du groupe Hachette. PDG des éditions Robert Laffont pendant cinq ans [directeur général, oui, mais le président y en avait qu’un, c’était Bernard Fixot], j’ai démissionné de mes fonctions pour raisons politiques. Mon retour à la littérature(Adieu, mon unique, 2000), traduit en 94 langues [14, c’est déjà pas mal]a été salué par le prix Nobel de littérature, que j’ai refusé pour raisons politiques. Depuis vingt ans je vis retiré dans un ashram du sud de l’Inde [j’ai fait trois séjours dans un hôpital de médecine ayurvédique], et je refuse les demandes d’interview [j’adorerais répondre à des questions, mais on ne m’en pose pas tant que ça]. Malgré mes préventions politiques, je travaille à l’édition de mes oeuvres complètes dans la collection La Pléiade [quelqu’un peut-il mettre M. Antoine Gallimard au courant que je vais rejoindre Chateaubriand, Balzac et Tchekhov ?].
Si quelques jaloux trouvent que je galèje un peu, qu’ils sachent que je suis l’exemple de mon modèle, M. Santos : moi non plus, je ne démissionnerai pas.