AU COEUR DU SILENCE

28 janvier 2020

Parmi ceux qui ont entamé avec Daniel Barenboïm, il y a un peu plus d’un an à la Philharmonie de Paris, le toujours incroyable voyage des trente-deux sonates de Beethoven, certains s’étaient en quelque sorte « entraînés » en écoutant et réécoutant le chef d’oeuvre final de l’oeuvre pianistique de Ludwig van – pour d’autres (dont j’étais), l’émotion d’être là pour entendre et ressentir suffisait.

Ni musicien ni critique musical, je ne m’attribue aucune des compétences pour juger du jeu de Barenboïm comparé aux géants du XXe siècle qui l’ont précédé, dont les enregistrements sont familiers aux mélomanes. Je ne peux donc que partager des sensations d’amateur – amateur passionné peu soucieux d’analyser, de décortiquer, et n’ayant pas les connaissances nécessaires pour cela.

La 32e sonate, c’était pour moi un moment : une syncope célèbre au milieu du deuxième mouvement qui anticipe de façon géniale (et pour moi tout à fait inattendue à l’époque où, adolescent plus porté vers Jimi Hendrix que vers les cantates de Bach, je l’ai découverte) le boogie-woogie et le rock and roll. Maurizio Pollini la joue dans cet esprit, avec un emportement juvénile mais magnifiquement contrôlé. Je pensais que « Dany » (comme l’appelle affectueusement ma femme) la traiterait de façon plus apaisée, plus murmurée, comme il l’avait fait au long de son interprétation de tant de pièces célèbres – et pas seulement dans les mouvements lents où il touche le clavier comme on caresse un chat. Erreur ! Dany a « envoyé du bois », comme on dit familièrement, avant de glisser dans un final dont j’avais tout oublié – rien de ces alternances de montées et descentes, de ces « fausses fins » qui caractérisent tant d’autres grandes oeuvres romantiques, une lente, majestueuse, coeur-brisante (qu’on me pardonne l’anglicisme) entrée dans le silence. Lorsque le pianiste a relevé les mains, le silence a vibré dans la salle avant que les applaudissements éclatent.

« C’est ça, c’est exactement ça », a-t-on envie de murmurer lorsqu’un artiste fait résonner en nous les vibrations intimes de l’âme de la vie et que finalement le silence survient comme une bougie s’éteint. Cela même : au fil du grand voyage, nous traversons ces turbulences, sommes déchirés de colères, accablés de larmes, enflammés de passions, enivrés de douceurs, avant de pénétrer – ainsi que dans un temple – au coeur du silence.

Références

  1. Suis-je surpris de me trouver une fois encore en résonance avec Léonard Anthony, mon frère d’âme tamoul ? cf. sa superbe contribution sur le silence après la musique (de Bach, en l’espèce) à l’ouvrage collectif Etre là (Flammarion/Versilio, 2018, 192 pages, 12 euros)
  2. Je ne suis pas France Musique et n’ai aucune autorité ou « expertise » pour émettre la moindre recommandation sur les (nombreuses) interprétations des sonates de Beethoven – et la 32e en particulier. Je suppose que Barenboïm l’a enregistrée mais je ne connais pas le disque – pour ce qui me concerne, quand mon coeur m’attire vers les sublimes dernières sonates, j’écoute tour à tour Serkin, Pollini et Kempf.