Depuis l’instauration de l’élection du président de la République au suffrage universel, on voit émerger puis s’effacer les « petits candidats » dans les mois précédant l’élection : vient le dimanche soir du premier tour et ils disparaissent… jusqu’à la prochaine.
Le « petit candidat » est méprisé, car « folklorique », énervant parce que marginal et prenant quelques voix aux vrais, aux « gros » candidats, les sérieux, les vrais, les éligibles.
Je le juge pourtant nécessaire, élément minuscule mais indispensable du puzzle démocratique ; objet de rigolade – ce qui n’est pas à négliger – il est surtout source d’idées originales et de moments de réflexion ou son inélectabilité fondamentale (qu’on me pardonne le barbarisme) lui donne une liberté de fond et de ton dont les autres sont privés. Ci-après quelques fragments d’une histoire personnelle du petit candidat.
Âgé de moins de dix ans lors de la première présidentielle de la Ve République, je me souviens de MM. Pierre Marcilhacy (Parti libéral européen, 1,71 %) et Tixier-Vignancour (extrême droite, 5,5 %) ; je me souviens surtout de Marcel Barbu (divers gauche, 1,15 %), qui pleurait à la télévision et dont le slogan était « Barbu n’est pas un traître ».
En 1969 il y eut Louis Ducatel (divers gauche, 1,27 %), qui ne m’a laissé aucun souvenir particulier, et le trotskiste Alain Krivine (Ligue communiste, 1,06 %), qui remettrait ça cinq ans plus tard (0,4 %) : c’était un jeune homme à l’oeil et à la tenue sombres et dont l’ardeur révolutionnaire était délivrée sur le ton neutre et embarrassé que l’on adopterait pour présenter ses condoléances à une famille endeuillée.
Pour les élections suivantes, je suivais à distance les féroces duels à l’extrême gauche pour se partager moins de 2 % des voix ; j’avais un goût pour le débit monocorde d’Arlette Laguiller («Travailleurs, travailleuses…») et plus récemment, pour les projets futuristes de Jacques Cheminade, qui voulait nous emmener sur Mars : de ce dernier candidat, certains de mes amis étaient si entichés qu’ils votaient pour lui aux deux tours ; votes non comptabilisés au deuxième puisqu’avec 0, 21 % des suffrages (en 2017 comme en 2012), il était à une certaine distance d’être qualifié. Mon « petit candidat » favori, Jean Lassalle, a gagné mon coeur déjà acquis en déclarant au cours d’un débat télévisé à Fabien Roussel, candidat du Parti communiste : « Fabien, si je n’étais pas obligé de voter pour moi, je voterais pour toi. » Pas mal, pour un homme classé au centre droit et qui, lancé dans une grève de la faim pour sauver les emplois de sa région, a mis sa santé en danger pour défendre une certaine idée des devoirs de l’élu. Il a obtenu 1,2 % des voix il y a cinq ans et il vient d’exploser son score en dépassant les 3 %. Peinant à rembourser les dettes de sa précédente campagne, il mettra bien cinq ans pour payer celle qui vient de s’achever pour lui. Encore un petit effort, Jean ! 20 % de plus pour être au deuxième tour !
Les « gros candidats » ne savent pas que faire des « petits » : s’ils sont dans le camp adverse, ils apprécient, car ils rognent des voix à leurs adversaires ; plus proches d’eux, quoique agacés ils les courtisent afin de récupérer leurs électeurs. Ils auraient tort de se moquer, car, tel qui était « gros » hier, le voici devenu tout petit : n’ayant pas atteint la barre des 5 % des voix, Mmes Pécresse (Les Républicains) et Hidalgo (Parti socialiste) vont devoir s’employer à stimuler la générosité des militants et des bonnes âmes. Peu probable que MM. Mélenchon et Zemmour, ce dernier peu connu pour sa galanterie, décident de rogner leur pactole pour soulager des opposantes vaincues. Comme écrivait l’abominable Maurras : « On dit qu’il ne faut pas frapper un homme à terre. Mais alors quand ? » Pour les banques russes, qui financent déjà Mme Le Pen, peu probable qu’elles soient appelées à la rescousse par ces cheffes si peu aimées par leurs propres troupes.
Pour les petits candidats de la prochaine présidentielle, je les invite à peaufiner leur programme et à mobiliser leurs premiers soutiens dès aujourd’hui : après tout, 2027, c’est demain…
P.-S. Follohoueurs follohoueuses, que vous ayez ou non reçu (moi non), puis lu les professions de foi de nos douze concurrents, vous ne m’avez pas attendu pour vous former une opinion et voter (utile, pas utile) ou non, et vous n’attendez pas de consignes de vote de ma part – plutôt des conseils de lectures ou de films. Pour ce que ça vaut, et sans enthousiasme (j’ai perdu la « foi » en 1981), j’irai voter dans deux semaines – ceux qui me lisent n’auront pas de mal à deviner pour qui je ne voterai pas. Un indice pour ceux qui n’auraient pas trouvé : les initiales sont M, L et P. En attendant, un conseil qui est presque une consigne : si vous tenez à votre santé psychologique et mentale, informez-vous à votre façon, mais regardez la télé le moins possible, tout sera mieux.
P.-P.-S. Sans en rajouter au sujet de l’inquiétude profonde pour l’avenir de mon pays que je ressentirais à voir l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite assumée ou rampante, le soulagement si elle ne gagne pas ce coup-ci sera très relatif. Depuis vingt ans que les « partis de gouvernement » nous proposent le « front républicain » et la « stratégie des castors » qui font barrage contre le Front national, celui-ci est passé de parti marginal (Tixier-Vignancour, 5, 5 %, à force nationale (Le Pen 2002, 16,86 %, Le Pen 2017, 21,3 %, Le Pen 2022, 23,1 %), de groupuscule de néonazis pétainistes à force de gouvernement local et de pression idéologique (nationale). Si Mme Le Pen atteint 40 %, on parlera de sa défaite, comme on en a parlé dans des élections locales précédentes, oubliant que 40 % ou plus c’est énorme et que si dans les années qui viennent les écarts de richesse se creusent encore et que le sentiment d’injustice s’approfondit, la même candidate ou sa nièce l’emporteront bientôt malgré les cris et battements de queue des castors républicains, macronistes, centristes, socialo-communistes ou « insoumis ».