Ayant été appelé – non tant pour mes talents propres que pour la tradition que mon nom représente sur place – à être le parrain de la salle de lecture du village de Fontvieille (Bouches-du- Rhône), je reçois des bénévoles qui l’animent des informations régulières sur ses activités. Une fois par mois, les amoureux de la lecture sont conviés à venir partager ou faire partager leurs passions ou leurs découvertes littéraires. Me trouvant sur place le 30 septembre dernier, j’ai eu la curiosité d’assister à cette réunion. Souhaitais-je présenter un livre ? Why not ?
Face à une assistance d’une vingtaine de personnes, le lecteur (plus souvent une lectrice : à Fontvieille comme en France, la majorité des lecteurs sont des lectrices) commence par une rapide présentation de son livre choisi, avant d’exprimer les raisons personnelles de son goût (pour le livre, pour l’auteur en général). Belle qualité d’écoute pendant la présentation, puis quelques questions et une brève discussion générale. Quand vient mon tour (en dernier), ma curiosité a été éveillée sur chacun des quatre titres présentés avant moi : je ne les lirai pas forcément mais j’ai ressenti la sincérité et la justesse des émotions exprimées par celles qui les ont racontés.
Je tiens à la main mon exemplaire de Moby Dick : le gros volume de la collection Folio qui propose l’édition préfacée par Jean Giono. Ce n’est pas celle que je viens de relire car j’ai préféré l’anglais d’origine – je l’avais lu en français pour la première fois il y a une cinquantaine d’années, croyant avoir affaire à un roman d’aventures style Fenimore Cooper. Plus je le relis (4e fois), plus je découvre sa folie, son caractère impossible, presque insupportable, et génial. A l’étonnement légèrement inquiet de ma copine d’enfance Marylène qui se demande si je ne suis pas pris d’une crise de démence, je commence par agiter le volume en vociférant : « Ne lisez surtout pas ce livre ! ». Après ce début de pitch peu conventionnel, je raconte son insuccès d’origine et la malédiction qu’il a portée sur l’oeuvre du jeune Melville, dont les premiers ouvrages avaient vogué sur la glamoureuse vague de l’auteur à la mode. Après Moby Dick, Melville connaîtra de considérables difficultés pour se faire éditer et mourra anonyme auteur de plusieurs oeuvres majeures, où dominent ses deux extrêmes : le déchaînement biblique, cétologique et théâtral de Moby Dick et la concision intimiste et bouleversante de Bartleby. Fidèle à mon entrée en matière, je ne cache rien du côté impossible d’une oeuvre qui, illisible à sa publication, l’est restée en devenant un « classique ». En évoquant certains passages, en lisant quelques phrases, j’ai à nouveau les larmes aux yeux : tant d’horreur, tant de beauté !
Tout en me remerciant gentiment à la sortie, quelques-uns des assistants m’ont avoué que malgré mon passionné plaidoyer, ils savaient déjà qu’ils ne le liraient pas. J’ose espérer qu’une baleine blanche à « l’effrayante beauté » (Melville) apparaîtra néanmoins dans leurs rêves et les entraînera dans son sillage – non jusqu’à la destruction finale qui attendent l’infortuné Pequod et presque tout son équipage (spoiler alert : il n’y a pas de happy end), mais jusqu’au terrible et durable bonheur qui s’attache à une lecture dont chaque mot s’infiltre dans nos reins, notre coeur, nos poumons – et jusque nos fibres les plus secrètes.
Références.
Les lectures proposées le 30 septembre par LILEC.
Sophie : La Confrérie des moines volants, roman de Metin Arditi, édition originale chez Grasset, réédition poche en collection Points. 259 pages
Colette : La Mendiante de Shigatse, nouvelles de Ma Jian, Actes Sud, collection Babel, 119 pages
Marie-Jo : De sang et de lumière, poèmes de Laurent Gaudé, Actes Sud, 112 pages
Antoine : Moby Dick, roman d’Herman Melville, préface de Jean Giono, traduction de Lucien Jacques, Joan Smith et Jean Giono, collection Folio, 741pages.
LILEC : assolilec@gmail .com. salle Antonin Moissiard à Fontvieille, ouvert les lundis, vendredis et samedis matins de 9h à 12H30, et les lundis et mercredis après-midi de 15H à 18H30.
Prochaine réunion de lectures : le 28 octobre à 17 heures.
A suivre : du Moby Dick, encore !