UN COMMERÇANT DU VILLAGE

6 août 2019

 

 

Jeune écrivain, par un mélange d’arrogance et de timidité, je ne participais qu’à regret aux signatures et « fêtes du livre », le côté « marché » de la chose me mettait mal à l’aise et, mi-envieux, mi-méprisant,  je regardais mon père se régaler de ces journées. Je ne suis toujours pas heureux dans ces vastes foires, ces sonores halles au grain où de longues files de fans patientent pour avoir la signature ou la bise des stars du moment, tandis que le vulgum pecus (nous), appelé pour faire masse (moins il y a de lecteurs, plus il semble y avoir d’écrivains) prend son mal en patience. Quoique…[1]

Il y a deux mois – le dimanche 2 juin pour être précis – l’association des commerçants du village de Fontvieille ( Bouches du Rhône) tenait sa fête annuelle autour de la ravissante petite chapelle Saint – Jean, annexe privée du moulin à huile (excellente) du même nom et que ses propriétaires ouvrent avec bienveillance à des manifestations culturelles ou d’intérêt local. C’est ainsi que je me suis retrouvé à l’ombre généreuse d’un vieil olivier, juste derrière le bar tenu par Jean-Marie, à  faire de la retape pour la camelote littéraire audouardienne à des chalands a priori plus attirés par les nourritures terrestres que par celles de l’esprit. J’avais préparé ma caisse – un petit porte-monnaie chargé de pièces et petites coupures – et disposé les ouvrages. Instruit par l’expérience, je savais qu’il existe un nombre d’or de la signature champêtre : trop peu de livres en exposition et la table offrira le triste aspect d’un magasin d’alimentation soviétique ; trop, et l’on aura l’impression désastreuse d’une tête de gondole dans un hypermarché quand la promo ne marche pas – pas du tout. Parlant promo, j’avais la mienne, concoctée avec mon voisin bistroquet : « un livre acheté, un verre offert ! ». Mon aboyeur, Thierry Vieillevigne, dont la belle fontaine de pierre avait été vendue à l’ouverture, détaillait pour les curieux les beautés des ouvrages Audouard père ou fils. Il faisait beau, pas trop chaud ; ma recette était modeste mais je voyais des amis du village ou d’ailleurs et, de temps en temps, Patricia Vidal, dont la table était en face de la mienne, traversait pour m’alimenter en fraises. J’avais mon élégant polo noir préparé spécialement pour l’occasion par Marie qui, en sus du sigle Saint-Jean et de mon nom, avait pris l’initiative de me broder une petite plume, histoire d’indiquer mon aire d’activité. De jeunes étudiantes me prirent pour un libraire et, se poussant du coude (« toi ! non,  vas-y, toi ! ») me demandèrent si j’engageais des stagiaires pour l’été. Elles étaient si charmantes que je les aurais volontiers engagées toutes les trois mais je fus contraint d’avouer les limites familiales de mon offre commerciale. L’indispensable pause déjeuner fut assurée (délicieusement) par nos amis Fanny et Yohann, nos jolis amoureux du village que n’usent pas les contraintes et la routine de la cuisine et du service à « l’Ami provençal ». Il y eut le défilé de mode, la photo de tous les commerçants, les derniers verres, les deniers livres, les dernières bises. Aucun commerçant – moi compris – n’avait vu son chiffre d’affaires « exploser » ce jour-là, mais nous gardions le sourire un peu idiot du simple enchantement d’une belle journée.

C’est par erreur que l’édition au XXe siècle est devenue une industrie ; aujourd’hui dépassés par de plus puissants qu’eux, les groupes peinent et les écrivains, sauf exception ou malentendu plus ou moins durable, reviennent à leur condition antérieure d’excentriques sociaux et de marginaux économiques.

 

Promotion gratuite :

http://www.moulin-saintjean.com

 

Thierry Vieillevigne, tailleur de pierres, sculpteur, créateur d’antiquités, route d’Arles, 13990 Fontvieille

Tailleur de pierre, sculpteur et marbrerie à Fontvieille, Quart Calade Castelet 13990 Fontvieille 

04 90 97 29 28

 

Chez Marie, mercerie, broderie, place de l’Eglise, 13990 Fontvieille https://www.facebook.com/chezmariebroderie/

 

L’Ami Provençal, place de l’Eglise 13990 Fontevieille
04 90 54 68 32

 

 


[1] Une fois encore mon ami envolé et délicieux Guy Leverve me glisse à l’oreille sa conjonction  fétiche.