« Qu’est-ce que vous voulez, Monsieur, moi j’aime trop Dieu », m’a asséné le sympathique chauffeur de VTC au milieu d’un trajet où il avait, assez vite après la conversation météo, attribué à Dieu (Allah, en l’espèce) la création du monde et ce qui s’en suivait, ma survie à un AVC comprise, avant de mentionner les célèbres fake news sur les conversions à l’Islam du commandant Cousteau et de l’astronaute Neil Armstrong.
Alors que sa conduite était tout ce qu’il y a de rassurante, ce « trop » m’a fait sursauter.
« Comment », ai-je demandé après avoir confessé que je n’étais pas croyant « peut-on trop aimer le Dieu auquel on croit ? »
Une inquiétante explication a suivi : ce jeune homme, dont le tableau de bord s’ornait d’une photo d’un petit garçon souriant, mis dans la situation d’Abraham, sacrifierait son Isaac adoré sans hésiter. Je me suis soudain senti crétin de lui avoir rappelé que « trop » en langue française marquait l’excès. Dans ce cas précis c’est réellement aimer « trop » Dieu que de lui sacrifier un enfant. J’ai en vain argumenté que Dieu lui-même, selon la Bible et le Coran, avait retenu la main d’Abraham. Mon jeune prosélyte avait réponse à tout : « c’est une mise à l’épreuve », m’a-t-il envoyé, mettant fin à notre controverse sur l’exégèse du Livre.
Dans les cas courants, hors situations bibliques extrêmes, les adverbes « très » ou « extrêmement » me paraissent plus adaptés que le « trop » pour exprimer un contentement supérieur à la moyenne – voire exceptionnel.
Je concède qu’en l’espèce, le jeune Mokrane exprimait justement sa pensée : aimer son Dieu au point d’être prêt à lui sacrifier une vie humaine – celle qui nous est la plus chère – c’est littéralement l’aimer trop.
Si j’avais besoin d’en être convaincu, cela me conforte dans ma résolution de les observer amicalement, mais de pas trop près, en me tenant à carreau face à ceux que leurs adeptes sont susceptibles d’aimer « trop « au point de leur sacrifier mes enfants – ou les leurs.
Références :
« Oh les filles oh les filles ! Elles me rendent marteau
Oh les filles oh les filles !
Moi je les aime trop. » ( Au Bonheur des Dames)
« Humain, trop humain ! » (Frédéric Nietzsche)