TRACES

25 novembre 2010

 « Une journée au travail » est une déambulation dans les rues de New York où Truman Capote accompagne sa femme de ménage, Mary Sanchez, et pénètre sans effraction avec elle chez ses nombreux patrons, ceux pour lesquels Mary invoque le Seigneur afin qu’il les conserve en sa garde.

Cette histoire appartient sans conteste à la catégorie de celles « sans début ni sans fin », tirées d’un quotidien banal, qui plaisaient à Tchekhov. Il ne s’y passe rien, sinon la lente montée dans l’ivresse du narrateur et de son héroïne et la transformation progressive d’icelle, de forte femme sans âge en ange gardien à vocation universelle.

Le cœur de cette journée est occupé par la visite de trois appartements vides – vides en tout cas de leurs propriétaires, que nous ne verrons pas (sauf les derniers). Bien sûr, Mary en parle comme elle parle de tout, mais avec son catholicisme fanatique, sa solitude, ses préjugés, elle est un bon exemple de cet « unreliable witness » que sont tant de narrateurs. Or nous nous faisons en un éclair une vue de ces vies surprises. Comment ? grâce à quelques détails.

L’appartement de M. Trask est peuplé de mini-bouteilles de vodka, ce qui témoigne et de sa profession (il est pilote), de son alcoolisme et de sa solitude ; dans celui de la glamoureuse Miss Shaw, il y a deux poèmes naïfs sur la machine à écrire et un godemiché avec vibreur dans la salle de bain ; enfin on est accueilli chez les Berkowitz par le perroquet Polly aux cris répétés de « Holy Cow ! » et « Oy vey ! ».

Nous sommes passés chez eux, nous ne les avons pas vus, nous ne les rencontrerons jamais, et pourtant voici la trace dérisoire, ineffaçable de leurs vies.

Source : Musique pour les caméléons, de Truman Capote (collection Folio).