THAT’S WHAT I WANT

20 décembre 2011

THAT’S WHAT I WANT

Dans l’avion pour New York je lisais le volume « Best American Magazine writing 2010 » et j’ai ressenti ma « 30.000 feet epiphany » – ma révélation de fin d’année, celle qui va faire de moi l’écrivain qui a découvert un truc que personne n’a su avant lui…

Attachez vos ceintures ! Prêts ?

L’argent est partout.

Je sais, c’est peut-être un peu décevant et si vous avez l’impression d’avoir lu ça quelque part, vous n’avez pas forcément tort. Simplement – et sans vouloir me défendre – je ne me l’étais pas formulé comme ça…

J’avais déjà été frappé par le livre de Michael Lewis, the Big Short, qui raconte de façon merveilleusement vivante la crise des sub-primes. A la fin du livre, dans une scène d’ambiance fantomatique, l’auteur déjeune avec le légendaire John Gutfreund, l’ancien patron de la banque Solomon Brothers qui fut au centre de la première explosion financière de l’ère moderne, il y a une éternité, mettons une vingtaine d’années… Déjà on écrivait partout « plus jamais ça », déjà il était question des excès de la finance et de la régulation nécessaire… bref. Lewis et Gutfreund discutent gentiment de ce nouvel avatar, et puis ce grand prédateur, disgracié mais loin d’être ruiné, se fend d’un mot unique en guise de commentaire : « Greed. »

After greed…

On traduit en général « greed » en français par gourmandise, et bien que ce soit dans les deux langues un des péchés capitaux, il me semble que le mot français est plus gentillet que l’anglais, qui comporte l’idée de cet appétit sans limite avec plus de brutalité.

Certes, c’est une banalité de rappeler que l’ascension du capitalisme a été portée par cette « greed » devenue vertu moderne. Sans vouloir me transformer en historien, il me semble toutefois que pendant longtemps, chez ces grands squales, cet appétit de gagner se mélangeait avec d’autres : celui de l’aventure, celui de la découverte, sans compter une dose de protestantisme qui n’était pas seulement de l’hypocrisie. Malgré les analyses marxistes décrivant les institutions politiques associées à ce triomphe (la démocratie) comme un cache-misère, il apparaît au contraire qu’une forme d’équilibre des forces instable assurait un je-ne-sais-quoi de vaguement protecteur qui nous apparaît aujourd’hui nimbé d’une amère nostalgie.

Dans la nouvelle ère, en effet, ce « greed » s’est infiltré partout et ne laisse plus rien intact : l’art de faire de l’argent est devenu un art pour l’art – qui n’a plus besoin de la médiation d’une « valeur ajoutée » par la création d’un produit ou d’un service ; les règles qui l’entouraient ont explosé ; la morale qui l’encadrait appartient au magasin des antiquités ; et les régimes qui s’y opposaient l’ont embrassé avec une inquiétante frénésie qui fait subir à leur société des changements radicaux dont les effets, en une génération, sont comparables à ceux qu’ils nous a fallu deux siècles et quelque pour accomplir : haine ou mépris du passé, retrait radical des religions dans la sphère privée, matérialisme galopant, etc.

Le volume dont je parlais pour commencer en raconte quelques exemples tirés de la société américaine contemporaine : c’est l’histoire de Marc Dreier, avocat frustré de grandeur, qui monte à une vitesse express une escroquerie (Ponzi scheme, proche de celui de Bernie Madoff) de 360 millions de dollars ; c’est le cas de Mc Allen Texas, dont le système de santé est le plus cher des Etats-Unis parce que les médecins y sont devenus, pour la majorité, des entrepreneurs dont la préoccupation centrale est de gagner plus, par tous les moyens ; c’est enfin l’histoire de ces prisons créées dans des zones défavorisée, financées par l’argent public mais opérées par des sociétés privées, dont les profits significatifs s’édifient sur la vie et la santé des prisonniers eux-mêmes…

Greed, my good friend, is everywhere – eats everything – and in the end will swallow itself – but not before it has swallowed us…

L’appétit, mon bon ami, est partout – il mange tout – et à la fin s’avalera lui-même – non sans nous avoir avalés d’abord.

Sources : the Big Short, de Michael Lewis (édition française « le Casse du Siècle ») ; Best American Magazine writing 2010.