Ayant acquis chez ma libraire favorite[1] un exemplaire du dernier album de Jean-Jacques Sempé, je déguste les traits de son esprit toujours jeune (Escargot #1 : « Il faut être curieux, aller vers les autres. » Escargot #2 : « Le problème c’est que ça prend du temps. ») À l’approche du siècle (encore une dizaine d’années), il ne donne aucun signe de faiblesse dans l’élan créatif. C’est comme les romans de Modiano : on n’aura pas le choc de la surprise qui vous renverse et vous cloue au sol, mais c’est bien, on est en terre amie.
Pendant une pause entre deux petits chefs-d’oeuvre, mes yeux parcourent la liste des livres publiés et je me souviens qu’il a toujours été là : les Petit Nicolas qu’il avait inventés avec René Goscinny étaient dans ma chambre et ses grands albums dans la bibliothèque de mes parents, depuis Sauve qui peut (1964) jusqu’à Luxe, calme et volupté (1987) en passant par La Grande Panique (1966), Saint-Tropez (1968) et Vaguement compétitif (1985).
Un peu à la manière de Modiano, auquel je viens de le comparer d’instinct, Sempé n’est pas un dessinateur révolutionnaire (Chaval ou Reiser, chez nous) qui bouscule les codes et les réinvente, mais sans se répéter il ne change pas, il est toujours juste et pertinent : tendre quand son observation touche à la cruauté, il sait à sa façon douce et discrète décocher le trait qui fait mal lorsque son dessin pourrait devenir seulement mignon. Dans quel album figure ce dessin dont j’ai le souvenir ? Ça ressemblait à ceci : l’auteur est assis face à l’éditeur dont le bureau est chargé de manuscrits et de livres (fun fact : le pire et le plus représentatif des bureaux d’éditeurs que j’aie pu apercevoir, c’était celui de Jean-Marc Roberts au Seuil – un bordel incroyable où tout autre que lui se serait perdu). L’auteur : « J’aimerais pousser une longue plainte jusqu’à 100, 150 000 exemplaires. »
Je ne serais pas opposé à produire un livre qui devienne un best-seller, mais je ne vois pas trop de quoi me plaindre.
Référence
Quelques amis (Denoël, 13,50 euros)