PRENDRE SA RETRAITE ?

3 mai 2023

Faisant partie de ces privilégiés qui touchent déjà une retraite plus que correcte, je suis frappé par le nombre de personnes de mon âge ou plus (nous, les seniors !) qui en touchent une minuscule et sont obligées de travailler pour obtenir un revenu décent.

Follohoueurs, follohoueuses, la vie n’est pas forcément facile pour vous et je ne vais pas vous faire pleurer en ces jours d’arrivée du muguet (très joli bouquet offert par Mrs. A. !), mais trois petites histoires pour illustrer :

  1. En cette veille de printemps, le chauffeur de taxi qui m’amène gare de Lyon pour un salutaire cap au sud engage la conversation. Hassan[1] vient d’avoir quatre-vingts ans et il pense, peut-être, prendre sa retraite d’ici son prochain anniversaire. Tout ça, dit-il, c’est pas grave, ce qui l’embête vraiment c’est son fils : il fait taxi, comme lui, il a le dos en compote, comme tous les chauffeurs, et à quarante-sept ans il a déjà dû se faire opérer – mais quelle retraite aura-t-il et dans quel état sera-t-il quand il la prendra ?
  2. Sur le marché du vendredi, au village[2], je rencontre Jean-Marie. Quarante ans de jardinage, des plaques en fer dans le dos qui le font souffrir dès que les températures montent, ce qui a tendance à se produire assez souvent par chez nous ; retraite à 900 euros et s’il se met en grève ou décrète « le jour de colère des jardiniers », ses clients ne lui paieront pas ses journées et il n’y a pas pour le défendre de syndicat de « gilets verts ».
  3. À sept ans, en pleine guerre, Momo gardait sur le Causse un troupeau de brebis – et lorsque la nuit on entendait le hurlement du loup, sa tante les envoyait le chasser, équipés d’un bâton, son frère aîné (dix ans) et lui. Après la guerre, Momo a découvert l’école, puis l’apprentissage : artisan ébéniste installé au village, il a cotisé beaucoup plus que les 172 trimestres réglementaires. Aujourd’hui qu’il est devenu un vaillant octogénaire dont la vie saine inclut un whisky quotidien, je suis heureux que Momo ait encore la santé pour s’adonner à ses passions d’homme simple : nourrir chaque matin les taureaux, pêcher de nuit, aller cueillir des champignons en Lozère ; je trouve injuste qu’il soit contraint de travailler à son atelier pour réparer des chaises ou des armoires plutôt que d’y pratiquer son art de la sculpture sur bois.

D’autres continuent non par besoin économique, mais par goût et par choix. Ainsi d’Anna : elle a été prof et vient de prendre sa retraite de prof. Sa dernière année d’enseignement a duré un trimestre. Elle pourrait vivre tranquillement en donnant quelques cours particuliers pour arrondir les fins de mois et se payer le restau, mais elle se trimballe de l’autre côté du Rhône pour apprendre le français à des saisonniers agricoles équatoriens. Mon amie LK, déjà citée ici, fait de même au Secours populaire, où elle apprend à un Bolivien que le B, ce n’est du tout pareil que le V, ainsi que les diaboliques différences de sens du mot Vert/Vers/Ver/Verre (verre, pas Berre, comme l’étang).

Peut-être qu’il faudrait arrêter d’écrire. Pour moi ce serait comme prendre ma retraite de la vie. Franchement, follohoueurs, follohoueuses, dans la mesure où ça dépend de moi et avec l’aide de mes thérapeutheszépotes, c’est pas demain la veille.

Références retraite, deux petits chefs-d’oeuvrenapoléonistes (fanatiques de l’Empereur, s’abstenir !) :

Le roman des Cent jours, de Joseph Roth (276 pages, traduction Blanche Gidon, éditions du Seuil)

La mort de Napoléon, de Simon Leys (125 pages, postface de Françoise Châtelain, édition de poche Ombres Blanches)

 



[1] Les prénoms ont été changés – ou pas – mais les récits sont véridiques, aille garantie itte.

[2] Toujours le même : Fontvieille (13990, Bouches-du-Rhône, région Bas-de-France).