Meurtrier d’une petite fille, M. Nordahl Lelandais est voué à une condamnation lourde et incompressible ; de plus, comme il est fréquent en ces sortes de crimes, il est l’objet d’une détestation dégoûtée de la part de chaque citoyen/parent. À voir comment son propre frère, qui lui n’a rien fait de mal au regard de la loi, a été insulté et menacé, on frémit de penser aux sévices qu’il est susceptible de subir en prison de la part de ses gardiens et codétenus – ces derniers surtout.
Ni les jurés d’assises ni les jurés moraux que nous sommes ne sont convaincus par ses explications embarrassées : non, il n’a pas violé la petite Maëlys avant de l’assassiner et de dissimuler son cadavre, il s’agit d’un malheureux accident, un malentendu, une petite dispute qui a mal tourné. Il ne va quand même pas jusqu’à dire ce qu’une amie psychiatre à Fresnes avait entendu de la bouche d’un criminel sexuel : « Je vous jure, docteur, la petite m’a regardé d’un air provocateur. »
Salaud ! Monstre ! Menteur !
Si la peine de mort existait encore, la vox populi la lui infligerait aussi sec – et il ne manquerait pas de volontaires (et bénévoles, avec ça !) pour remplir le rôle noble et ingrat du bourreau.
Or tout cela est un affreux malentendu que je vais tenter de dissiper.
Tout d’abord, M. Lelandais n’est pas seulement le meurtrier accidentel d’une enfant, il est simplement victime de la malchance, une terrible scoumoune ; ainsi est-il probable, malgré ses dénégations, qu’il ait également tué involontairement un jeune militaire – majeur pour sa part et manquant terriblement de réflexes car sinon il aurait évité l’accident. Le garçon n’était pas fait pour l’armée, corps où M. Lelandais avait effectué une carrière de maître-chien plus qu’honorable.
Examinons maintenant les témoignages sur sa personnalité.
Mis en pension, il aurait été victime d’abus sexuels – ce qu’il nie avec vigueur.
Sommé de donner des signes de sa précoce perversité, son propre frère se dit incapable de se le représenter en « tueur froid » et émet l’hypothèse étrange qu’il « protège quelqu’un ». Sa soeur ne comprend pas.
Une ex-petite amie le décrit comme dangereux. Témoignage négligeable : l’ex est souvent vindicative et partiale, on le sait.
D’autres témoignages tout aussi incertains font état d’attouchements sexuels de sa part sur des petites filles. Ouais ! À l’époque « woke » où nous vivons, un câlin à une petite, c’est un début d’abus – et Lewis Carroll, l’auteur d’Alice au pays des merveilles, serait aujourd’hui mis en examen et écroué. On assiste à ce que les Anglo-Saxons appellent « character assassination ». Le coupable n’est pas seulement coupable de ses crimes, il est coupable d’être lui-même – coupable tout court. Dans le temps, une condamnation à mort aurait mis un terme à ses épreuves mais le progrès de la société n’autorise plus ce geste humanitaire et il va être condamné « à vie ». Il lui restera tout le temps de méditer cette grande pensée de Woody Allen : « L’éternité, c’est long, surtout vers la fin. »
Ces derniers jours, ont défilé à la barre ses potes de jeunesse. Ils ne connaissent pas le prédateur toujours à l’affût, le tueur froid, le monstre. Pour eux il est « Nono », le type sympa, toujours prêt à faire la fête, serviable et dévoué, le genre qu’on « appelle à deux heures du matin », dit l’un d’eux, si on en a besoin.
Ajoutons que M. Lelandais s’est déclaré désolé de tout cela et qu’il a présenté ses excuses à la famille de la victime. Il y a tout à parier que celle-ci ne les acceptera pas, ce qui est compréhensible mais bien malheureux. Pour une fois qu’avec une sincérité incontestable, un coupable regrette, on le rejette. Pauvre Nono…
P.-S. Sur la peine de mort, je viens de revoir le beau film de mon ami disparu José Giovanni, Deux hommes dans la ville, où un Jean Gabin âgé et qui n’y croit plus mais ne renonce pas tente de sortir d’affaire un Alain Delon persécuté par un flic obsessionnel joué avec une cruelle précision par le toujours suprême Michel Bouquet. Delon n’est pas ce bel indifférent qu’on a souvent vu à l’écran, mais un très convaincant rebelle sans cause qui finit par craquer – et le travelling arrière qui montre les quelques instants précédant son exécution est du pur cinéma. Tout condamné à mort aura la tête tranchée. La célèbre phrase de l’ancien Code pénal n’était pas pour rien la favorite de Stendhal et sa disparition laisse un vide littéraire : que peut-il y avoir de plus précis et définitif ? Dans le film, on ne voit pas cette belle tête rouler – et c’est pire. Jamais plaidoyer contre la peine capitale n’aura été aussi efficace en si peu de mots.