C’était il y a trois ans – autant dire au temps des dinosaures. Gabriel Matzneff était encore « Gaby le magnifique », certes un peu « sulfureux », mais reconnu comme un des « granzécrivains[1] », défendu par le jury Renaudot, la mairie de Paris qui le subventionnait, Philippe Sollers, Frédéric Beigbeder, Michel Houellebecq, toute une smala germanopratine au sein de laquelle il avait habilement « réseauté » pendant des décennies de gauche à droite et de droite à gauche. Publié chez Gallimard, chroniqueur au Point, il vendait peu (ou pas), mais faisait partie des « people » du monde littéraireuh. Son idée sexuelle fixe sur les moins de seize ans garçons et filles, théorisée et mise en pratique, puis chroniquée avec complaisance, pas trèsragoutant, mais pff… la littérature et la moraleuh, vous savez, heu… Enfin vint Vanessa Springora : l’excellent Consentement – bien plus et mieux qu’un livre de dénonciation et de vengeance – fit sauter la digue. Les uns après les autres, les « amis » le lâchèrent, feignant de découvrir des « horreurs » – aventures pédocriminelles dont il s’était vanté dans ses livres depuis quarante ans. Il y eut une vague tentative pour l’absoudre au nom des droits imprescriptibles du grantécrivain qu’il était, adoubé par les susnommés, venant après Emil Cioran, François Mitterrand et Jean d’Ormesson. Patatras ! Le monde est cruel : « Gaby le paria » se trouvait aux prises (enfin !) avec la justice, sans éditeur, sans médias pour le soutenir, seul, tout seul. Il s’en trouva heureusement un, un courageux, pour venir à sa rescousse – et voici que la Nouvelle Librairie, libraire-éditeur « dissident », enseigne de la fachosphère culturelle, n’ayant pas hésité à accueillir M. Le Stylo père, renonce en raison de menaces de mort, à publier un ouvrage au titre engageant, Derniers écrits avant le massacre. D’où provient cette fatwa ? Ces ardents défenseurs de la « liberté d’expression », adorateurs du réac antisémite Charles Maurras, n’en donnent pas le détail.
J’avoue mon soulagement personnel à l’idée de n’être pas exposé à l’abjecte et minable prose de faux grands au style ampoulé et prétentieux, mais je m’étonne de l’abstention de tous ses ex-amis. N’était-il pas, hier encore, un Bataille, un Genet ?
Nan, il est tout seul et ils ont tous changé de numéro de téléphone portable. Quant aux bourses, aux subventions, bernique ! Le grantécrivain n’aura plus les moyens de ses voyages à Manille à la recherche de jeunes gens glabres (essai : « La haine du poil dans l’œuvre de Gabriel Matzneff ») ni de l’hôtel italien quatre étoiles où il se remettait il y a deux ans de la méchanceté de son ex – rappelons qu’elle avait treize ans quand il a commencé à la draguer et quatorze quand il l’a consommée. C’est ce qu’il appelait il y a peu « une belle histoire d’amour », que la vindicte de Mme V. a gâchée.
Moi je dis : pauvre Gaby.
Références
Pour montrer, follohoueurs, follohoueuses, que je ne suis pas sectaire, une citation attribuée à cette ordure de Maurras[2] et qu’on peut conseiller à ce pauvre Gaby de méditer : « On dit qu’il ne faut pas frapper un homme à terre. Mais alors, quand ? »
L’excellent Consentement, de Vanessa Springora, publié à l’origine chez Grasset, est aujourd’hui disponible dans la collection Le Livre de Poche (7,40 euros).
Quant au corpus matznévien, il est à ma connaissance disponible sur commande en librairie et chez Zonzon. Sur ce que j’en ai lu, perdez pas votre temps, follohoueurs, follohoueuses, mais si vous y allez quand même et découvrez que c’est de la merde en barre, ne vous plaignez pas, je vous aurai prévenu. Ouch, je retourne à Léo Malet…