PARFOIS LA TRISTESSE ET LA RAGE

18 juin 2019

Dans la plupart des cas, c’est Tchekhov qui a raison et il faut pour écrire développer en soi une capacité d’indifférence pour nous tenir à distance des émotions brutes qui, exprimées littéralement, ne produisent qu’une littérature de la confusion.

Quoique…[1]

Dans La Suspension, Géraldine Collet raconte l’histoire d’une jeune femme, petite fille du déporté 21055 à Buchenwald, qui prend le train pour se rendre rue Gaston Gallimard dans l’espoir de recueillir du PDG de la célèbre maison, des explications sur la réédition projetée des pamphlets antisémites de Céline.

La mise en parallèle des fragments du récit d’un grand-père plutôt taiseux avec la part d’ombre du passé de la prestigieuse maison où j’ai publié la plupart de mes livres serre les tripes et le coeur. On y découvre (ou redécouvre) que le fondateur de la collection la Pléiade était juif et que, sa petite maison ayant été rachetée par GG, il a été écarté de sa direction pour complaire aux nazis au profit de Drieu la Rochelle, à qui le suicide a sans doute évité le peloton d’exécution, e dont les oeuvres ont aujourd’hui l’honneur de la collection en reliures cuir dorées à l’or fin. Récit et enquête, ce petit livre nous entraîne dans les méandres nauséabonds d’un passé qui, décidément, ne passe pas. Plongeant dans les solides traditions de l’antisémitisme français, ayant connu ses heures les plus noires sous l’occupation allemande, il trouve ses prolongements contemporains bien au-delà du cercle de quelques douteux intellectuels pratiquant l’entrisme cynisme dans les médias et l’édition, mais aussi au coeur de la montante extrême droite européenne, et jusqu’au radical-islamisme chicos ripoliné à la Tariq Ramadan.

Dans la production de la modeste et courageuse maison Rue de l’ Échiquier, vous pouvez courir chez votre libraire et investir 10 euros, et même plusieurs fois 10 euros, pour l’acquisition de ces 64 pages atroces où Mlle (ou Mme) Collet démontre avec force que la tristesse et la rage peuvent parfois générer des oeuvres poignantes, salutaires, nécessaires.

Référence : La Suspension, de Géraldine Collet, éditions de l’Échiquier, 64  pages, 10 euros.



[1] Ceci en hommage au merveilleux Guy Leverve, gone but not forgotten comme on  dit en patois grenoblois