MES OLYMPIADES

9 août 2021

 

Né une année olympique (Melbourne, 1956, 14 médailles pour la France dont 4 d’or pour Alain Mimoun – marathon -, Christian d’Oriola – fleuret – et Michel Rousseau – vitesse en cyclisme sur piste), j’étais donc un peu jeune pour les Jeux de Rome (1960, 5 médailles, dont aucune d’or), j’ai participé à mes premiers Jeux olympiques à Tokyo (1964). Il faut dire que mes parents avaient fait l’acquisition d’un nouveau poste de télévision et que l’ancien avait été installé dans ma chambre – le programme le plus divertissant de l’ORTF (une chaîne en noir et blanc) était La Piste aux étoiles, animée le dimanche après-midi par Roger Lanzac, donc mes risques d’addiction à l’écran étaient limités. C’était compter sans la magie des JO. Jeune fleurettiste (mon maître d’armes à la salle des sports de Neuilly-sur-Seine s’appelait maître Laruelle), j’avais du mal à intégrer les règles de priorité de ce sport complexe où mes compatriotes, si notoirement rétifs aux lois, codes et toutes obligations, excellent – peut-être parce que la France est à l’escrime ce que le Japon est au judo. Réserviste de l’équipe de fleuret, j’admirai de loin la médaille d’argent de Jean-Claude Magnan. La nuit je me levais discrètement pour allumer la télé et je regardais tout ce qu’on diffusait, avec le son le plus bas possible pour ne pas alerter mes parents. Très cocorico, je vibrais aux exploits des athlètes de mon pays (Maryvonne Dupureur, 2e du 800 mètres et le relais, Jocelyn Delecour – Paul Genevay – Bernard Leaidebeur – Claude Piquemal 3e du 4 × 100 mètres en 39 secondes 3), mais j’admirais les extraterrestres des autres nations : le sprinteur américain Bob Hayes, vainqueur de la finale du 100 mètres où aucun Français n’était assez rapide pour prendre part semblait fabriqué à partir d’une autre matière que les humains ordinaires – il remporta la course en 10 secondes pile, record du monde égalé, tandis que les meilleurs Français couraient en 10 secondes 3 ou 10 secondes 5. Avec le son si bas, j’entendais à peine les commentaires – y avait-il déjà des « consultants » chargés de faire découvrir aux novices les arcanes des sports les plus techniques ; les commentateurs s’adressaient-ils aux athlètes (« vas-y ! ne lâche pas ! ») et aux arbitres (« cette décision contre le Français est incompréhensible, à la limite du scandale ! ») ? Je le suppose. En tout cas il n’y avait pas de coupures publicitaires, de « bascules » entre chaînes au milieu d’un match. M. Nelson Monfort, qui semble capable de parler dans sa langue à chaque athlète de chaque pays – sauf peut-être le cantonais (son mandarin est parfait), le dialecte kansai et le tagalog -, n’était pas encore sur les ondes et j’imagine que les interviouveurs devaient poser les mêmes questions subtiles :

 

À celui qui vient de perdre

— Est-ce que vous être déçu de votre performance ?

À celui qui vient de perdre sur incident mécanique ou blessure

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

À celui qui s’est effondré en finale

— Étiez-vous prêt pour cette finale ? Pensiez-vous faire mieux que cette onzième place ?

À celui qui vient de gagner

— Est-ce que vous êtes heureux de votre résultat ?

(variante)

— Peut-on dire  que c’est le plus beau jour de votre vie ?

À moi

— Vous en êtes à votre quinzième olympiade et vous nous avez confié hors antenne votre intention d’être présent à Paris en 2024, à Los Angeles en 2028, Brisbane en 2032 – vous nous avez même parlé de 2060 ! Vous aurez alors 104 ans, ce qui fera de vous le plus vieil Olympien de l’histoire des Jeux. Quel est le secret de votre longévité ?

Silence, larmes d’émotion

— L’entraînement, Nelson, et le soutien de ma famille à qui je fais des bisous. Wou-hou !

— Quel est votre objectif secret ?

— Participer aux Jeux du bicentenaire de l’olympisme moderne, en 2096. Je peux faire encore des bisous ?

— Allez-y !

Plan sur ma famille et mes amis réunis

— Bisous bisous, je vous aime. Wou-hou !